Un texte de l’abbé Eric Mattheeuws.

Les règles du confinement imposent bien des contraintes en ce temps d’épidémie. Entre autres, les croyants ne peuvent plus se rassembler pour célébrer leur culte ; les chrétiens sont empêchés d’aller à la messe. Comment vivre cet éloignement ?

Pour beaucoup, l’Eucharistie est un aliment dont ils ont de la peine à se passer. Elle est notre Pain de Vie, elle est le sacrement même de l’union au Christ. Alors que nous sommes nombreux à investir toutes sortes de moyens de communication virtuelle, se pose la question : peut-on « communier à distance » au Christ présent dans l’Eucharistie ?

Les circonstances que nous vivons peuvent nous mettre sur la voie. Car dans une mesure tout à fait inhabituelle, nous souffrons tous de la distanciation des corps qui nous est imposée. Surtout pour les grandes joies et les fortes peines, nous aimerions tellement embrasser, serrer dans nos bras ceux qui nous sont chers. Pour compenser ce manque, nous imaginons bien des stratagèmes pour malgré tout garder nos liens bien vivants, à distance. Et l’imagination est fertile ! Nous comprenons que, si la communication est « virtuelle », nos relations ne sont pas pour autant devenues imaginaires, pures pensées. Au contraire même, il peut arriver que les liens se trouvent renforcés, car notre désir de l’autre est attisé par l’éloignement. Irions-nous pour autant jusqu’à dire que tous ces échanges relativiseraient, voire remplaceraient la rencontre en chair et en os ? Qu’à l’avenir nous nous contenterions d’un téléphone et d’un ordinateur pour recevoir et donner de l’affection ? Jamais de la vie ! En fait la distanciation nous conduit à une double perception : d’une part elle n’empêche pas les liens d’être réellement entretenus, d’autre part elle nous fait éprouver plus fort, en creux, le caractère unique de la rencontre par les corps.

Qu’en est-il donc de l’Eucharistie ? Elle est un sacrement, c’est-à-dire un lieu (un geste, une parole, un signe) où, dans l’Eglise, s’exprime et se réalise éminemment et concrètement – corporellement – notre union avec Dieu. L’eau et l’huile sur notre corps, la main sur notre tête, le oui prononcé par notre bouche, le pain et le vin reçus comme aliments : la rencontre est toujours intime et incarnée. Les sacrements ne sont de loin pas la seule façon de vivre l’union à Dieu, mais ils revêtent un caractère unique et irremplaçable : nulle part ailleurs nous ne touchons davantage du doigt l’action de Dieu, sa présence et sa grâce. De là vient l’insistance sur leur importance dans la vie du chrétien. On peut bien le comprendre : Dieu nous aime et si nous l’aimons aussi, combien sont précieux les gestes qui nous permettent de le rencontrer « corporellement ». Que nous soyons empêchés de vivre ces gestes et ces rites, et nous craignons de voir notre lien au Seigneur s’affadir. Perdrions-nous le contact ? Serions-nous privés de sa présence ? Devrions-nous nous résigner dans certains cas à être privés de la grâce de l’Eucharistie, « sacrement des sacrements » (Catéchisme de l’Église catholique, 1210) ? Dans pareilles circonstances, l’Église nous trace une voie sûre et bien balisée : la « communion spirituelle ».

Je ne puis me rendre à la messe, pour des raisons indépendantes de ma volonté ? Je n’ai pas accès à l’Eucharistie mais je désire la recevoir ? Alors, comme en cas de confinement et d’éloignement de ceux que j’aime, une autre voie s’ouvre à moi pour m’unir réellement au Corps du Christ. Car, rappelle l’Église, « Dieu n’est pas lié lui-même par ses sacrements » (Catéchisme de l’Église catholique, 1257), et les circonstances ne peuvent l’empêcher de venir à moi, ni moi d’aller à Lui. Je communierai au Christ non pas virtuellement, mais spirituellement. Comme le formulait déjà le Concile de Trente, je mangerai « en désir le pain céleste », et je pourrai en ressentir à la fois « le fruit et l’utilité » (Décret sur la très sainte Eucharistie, Ch.8). Mon désir, ma pensée, ma prière pourront, puisqu’il le faut, suppléer l’acte que j’aurais posé en allant à la messe. Ainsi la communion est accomplie.

Y a-t-il un mode d’emploi, des consignes ? Oui et non. Puisqu’il s’agit d’une expérience purement intérieure, elle n’est pas liée par des modalités fixées d’avance et communes à tous. Mais nous restons des êtres situés dans l’espace et le temps, et le spirituel a besoin de lieux et de moments. L’idéal pour vivre l’Eucharistie à distance est de se joindre à une messe diffusée, en direct ou non, à la radio ou la télévision ou sur internet. Il faut aussi veiller à un contexte et une attitude qui favorisent la prière et expriment justement notre désir réel de rencontrer le Seigneur et de l’accueillir. Un lieu dédié à cela dans notre maison, une bougie allumée, la méditation de la Parole de Dieu, quelques intentions de prière, un Notre Père récité posément à voix basse… À chacun de voir, pourvu qu’on y mette quelques moyens. Ces actes concrets expriment et font une place à notre désir de communion à l’Eucharistie. Une prière spécifique peut être réservée pour ce moment ; vous verrez ci-dessous celle que propose le pape François ces jours-ci. De plus, les actes concrets et le recours à quelques signes et prières nous rendent davantage conscients que dans l’Eucharistie nous ne communions pas seulement au Christ mais aussi à son Corps qu’est la grande communauté de l’Église.

Il peut arriver que dans l’expérience de la communion spirituelle nos liens avec le Seigneur se trouvent renforcés, car notre désir de Lui est attisé par l’éloignement. Irions-nous pour autant jusqu’à dire que cette démarche relativiserait, voire remplacerait la rencontre corporelle du Seigneur dans l’Eucharistie célébrée au sein de la communauté rassemblée ? Jamais de la vie ! La communion spirituelle n’est réelle qu’à défaut d’être corporelle, et dans l’attente et le désir de la présence pleinement manifestée dans le sacrement.

Merci Seigneur de traverser tous les murs et toutes les distances pour venir à nous. Mais que finisse bientôt ce confinement pour vivre la joie des pleines retrouvailles !

Eric Mattheeuws

À tes pieds, ô mon Jésus,
je me prosterne et je t’offre le repentir de mon cœur contrit
qui s’abandonne dans son néant et en ta sainte présence.
Je t’adore dans le sacrement de ton amour,
je désire te recevoir dans la pauvre demeure que mon cœur te propose.
Dans l’attente du bonheur de la communion sacramentelle,
je veux te posséder en esprit.
Viens à moi, ô mon Jésus, que je vienne à Toi.
Que ton amour enflamme tout mon être pour la vie et pour la mort.
Je crois en Toi, j’espère en Toi, je T’aime.
Amen

Eric Mattheeuws