Actes 1, 1-11 : les apôtres comprennent que quelque chose va se passer, que les temps sont mûrs. Leur attente messianique est encore terre-à-terre : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » Jésus leur promet « une force », le Saint-Esprit, afin d’être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre. Et il disparaît. Le Ressuscité avait pris toutes les dispositions nécessaires pour que l’Eglise se maintienne, s’organise et mieux encore se développe.

Hébreux 9, 24… 10,23 : le grand prêtre par excellence, Jésus, a réalisé d’une manière supérieure et définitive (une fois pour toutes) ce que le grand prêtre juif pensait accomplir une fois par an (de façon répétée) lors du grand sacrifice de purification dans le temple de Jérusalem. Jésus a pénétré au-delà du rideau pour accéder au sanctuaire, au saint des saints où il se tient  – pour nous –  devant la face de Dieu. Il n’est pas remonté tout seul auprès du Père : il a entraîné toute l’humanité. D’où notre assurance et notre certitude : « continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance ».

Luc 24, 46-53 : autre version de l’Ascension selon St Luc (qui est l’auteur des Actes). Ici aussi Jésus donne ses recommandations, promet l’Esprit-Saint, bénit ses disciples (la seule fois attestée dans les évangiles), puis est « emporté au ciel ».  Et ils furent remplis de joie, parce que l’absence du Ressuscité est en même temps une présence nouvelle « autre » à ses communautés.

Homélie de Vénuste.

L’événement de l’Ascension a ceci de particulier que Saint Luc le raconte deux fois : une fois pour clôturer son évangile et une autre pour ouvrir les Actes des Apôtres. Luc ne s’est pas préoccupé d’harmoniser ce qu’il raconte ; les divergences crèvent les yeux tout en apportant un double éclairage sur l’événement. Dans l’évangile (qu’il appelle son premier livre), il situe l’événement le jour même de Pâques quelque part du côté de Béthanie ; dans les Actes, il situe l’événement 40 jours après (chiffre symbolique pour signifier un temps de maturation), au cours d’un repas, sans préciser le lieu. A noter, dans les Actes, la présence des anges qui promettent le retour du Christ. Il ne faut pas être troublé par ces divergences. Car l’évangéliste ne fait pas œuvre d’historien au sens moderne, il ne fait pas de reportage ou de rapport de mission : il donne un témoignage, il fait la catéchèse, son souci est de montrer que Résurrection, Ascension et Pentecôte sont un seul et même « mystère ». En effet, le Seigneur Ressuscité est déjà « élevé » (traduire par enlevé ou emporté, n’est peut-être pas la bonne traduction) dans la gloire du Père et son absence n’en est pas une puisqu’il a envoyé tout de suite l’Esprit-Saint. C’est dans le même sens que l’évangéliste Jean l’a compris.

« Il monta au ciel, il est assis à la droite du Père » : c’est ce que nous affirmons dans le Credo. Le Christ est retourné chez lui : il est retourné à son Père près de qui il prépare des places pour ses amis. Il nous a précédés, lui le premier-né d’entre les morts ; on aime dire qu’il est le chef de cordée. Le Christ met fin aux apparitions sans mettre fin à sa présence, mais sa présence n’est plus visible, n’est plus charnelle, spatiale, perceptible par les sens. Il fallait que la présence extérieure du Christ soit terminée, parce que le fait de le voir, ne doit pas rester une condition pour croire (« bienheureux ceux qui croient sans avoir vu »). Il fallait que sa présence « jusqu’à la fin du monde » soit une présence réelle et forte, mais à l’intérieur, au-dedans de nous. Il ne faut pas chercher à percer le ciel pour le voir. Désormais, c’est dans l’Eglise, dans le « collège » des apôtres, dans la communauté qui prie, qui médite et commente la Parole, qui témoigne de ses convictions, qui s’aime, qui célèbre les sacrements, qui vit de l’Esprit-Saint… Le Christ est dans la gloire, désormais nous devons déplacer le regard, non plus vers les hauteurs des cieux, mais vers l’Eglise. Celle-ci est l’accomplissement total du Christ, la plénitude du Christ. Jésus affirme son omniprésence. Il est là autrement, mais intensément. Dans son Corps ecclésial. Une autre façon d’être présent : corps mystique, corps eucharistique, la Parole et les sacrements, le témoignage des siens. Il est vivant autrement : cessons donc de le placer dans des objets, car les reliques c’est pour les « absents », ceux qui sont partis.

       Enlevé – élevé. Il est dit que Jésus est enlevé aux disciples pour être élevé et exalté. C’est le premier sens de l’Ascension et c’est dans le prolongement de ce que signifie la résurrection. Celui qu’on avait abaissé jusqu’à le clouer à la croix, celui qu’on avait laissé gisant dans le tombeau, Dieu l’a remis debout, il l’a ressuscité, il l’a élevé « au-dessus » de tout, il l’a fait asseoir à sa droite (la place d’honneur par excellence). Ascension signifie intronisation : Christ est « Seigneur », Roi des rois, Seigneur des seigneurs. Ascension signifie glorification : Christ retrouve la gloire qu’il avait de toute éternité. On ajoute d’ailleurs qu’il juge les vivants et les morts. Tout cela (le titre de Seigneur, la gloire, le pouvoir de juger), ce sont des attributs exclusifs de Dieu. Tout cela c’est pour dire que le Christ est Dieu. Les apôtres ont réalisé que si Jésus a pu ressusciter, s’il est monté vers les cieux et s’il a été glorifié, c’est qu’il retournait dans sa patrie, qu’il est d’une autre origine, qu’il est Fils de Dieu, qu’il est Dieu. Ils se sont prosternés devant lui car il est LE Kurios.

Ascension c’est dire aussi que Jésus nous entraîne à sa suite. Il est au ciel avec notre humanité, parce que l’incarnation n’était pas une petite parenthèse, tout comme la passion d’ailleurs. Il est le Fils de l’Homme. Le Ressuscité porte encore la marque des clous : ce ne sont pas des plaies, mais la preuve que celui qui est monté au ciel, c’est celui qui a souffert pour nous et qui est ressuscité pour nous sauver. Et puis nous sommes son Corps : là où est la Tête, là se trouvent les membres. Sa glorification est donc la nôtre par anticipation.

Ascension signifie mission. A remarquer dans les récits, le lien entre le départ du Christ et un nouveau comportement des disciples : c’est un signal, c’est un nouveau départ pour eux aussi. Les apparitions devaient cesser pour que le groupe des disciples soit missionnaire aux quatre coins du globe ; ils devaient cesser d’être un groupe d’intimes, un cercle (club) d’amis qui reçoivent des visites privilégiés de leur fondateur. Ils devaient se disperser, prendre leur responsabilité de témoins devant la face du monde, pour rendre le Christ présent, pour édifier l’Eglise à travers leur parole, leur enseignement, leur témoignage de vie, leur docilité à l’Esprit qui désormais prend la direction des « opérations ». C’est désormais l’ère des apôtres missionnaires (plus seulement assis autour de Jésus pour écouter son enseignement). C’est l’ère de l’Eglise et de l’Esprit Saint pour que se construise le Corps du Christ. C’est le temps des sacrements.

Jésus a accompli sa mission : aux apôtres et autres disciples (nous les chrétiens) de rendre présent et actuel le salut qu’il nous a obtenu. Le pouvons-nous avec nos seules ressources humaines ? Certainement pas. Déjà la compréhension que nous en avons est très limitée : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? », demandent les apôtres au Christ. C’est vrai qu’ils avaient senti que quelque chose d’important allait se passer, que la terre était mûre pour recevoir « la promesse », mais ils raisonnaient encore en humains. La promesse, c’est justement la force qui va les pousser sur les routes de Jérusalem, de la Judée, de la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. C’est l’Esprit Saint qui va d’abord leur répéter ce que Jésus avait dit et leur enseigner ce qu’ils n’ont pas compris. N’oublions pas que, dans leur peur des Juifs, ils étaient toujours barricadés : il a fallu une force surnaturelle pour qu’ils bougent et persévèrent dans leur mission malgré les persécutions. N’oublions pas que comme CV, ils n’étaient que de pauvres pêcheurs du lac de Galilée : il a fallu une force d’en haut pour qu’ils aillent enseigner dans le temple, dans les synagogues, dans les aréopages, devant les érudits, devant les puissants de ce monde… Jésus, pour la même mission que lui, les avait investis de ses mêmes pouvoirs. Il a soufflé sur eux son Esprit afin qu’ils fassent, comme il le leur avait promis, des choses même plus grandes que lui. L’Esprit, le Consolateur, l’Avocat, celui qui conduira les apôtres à la vérité toute entière, qui les guidera, les fortifiera, leur donnera l’audace d’affronter le monde et ses puissances. Dieu fait confiance aux hommes, à ces faibles disciples qui ont pris la fuite quand Jésus a été arrêté. Il confie toutes les nations à cette poignée d’incultes, sans grande instruction, sans la sagesse du marketing, sans diplôme en communication… ! C’est à eux qu’il demande de prêcher, mieux de faire des disciples, de « faire Eglise ». Le Fondateur est tellement confiant. Puisqu’il a donné son Esprit, le Paraclet.

Il est intéressant de noter que tous sont envoyés, même ceux qui doutaient. La foi est le doute surmonté ! Personne ne peut se dire indigne, ce serait de la fausse humilité qui est certainement de l’orgueil déguisé (en attendant d’être parfait, comme si c’était possible). Dieu donne sa confiance à tous, il a « besoin » de tous (si on peut dire que Dieu a des besoins). Après tout, c’est par l’Esprit Saint qu’il nous donne que nous pouvons faire quelque chose, si bien que, quand on se dit indigne, c’est qu’on refuse l’Esprit Saint.

       Avec la fête de l’Ascension, nous commençons la neuvaine à l’Esprit Saint : neuf jours nous séparent de la Pentecôte. Prenons conscience du changement qui s’est opéré chez les apôtres lors de la descente du Saint-Esprit : quelque chose s’est produit qui les a métamorphosés, transfigurés en témoins infatigables du Ressuscité, avec pleine assurance, certitude, audace et joie. N’est-ce pas ce qui nous manque pour que le monde croie ? Et pourtant c’est le même Esprit que nous avons reçu au baptême et à la confirmation, la « promesse », qui peut nous donner la force qui nous manque dans le témoignage et dans la prière. Demandons-le à celui qui nous disait que le Père ne peut pas refuser l’Esprit à celui qui le lui demande.

       Rendons gloire au Christ pour cette merveille de plus qu’est l’Ascension, car comme le dit la préface, « il ne s’évade pas de notre condition humaine : mais en entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son Corps [que nous sommes] l’espérance de le rejoindre un jour ». Demandons l’Esprit pour nos jeunes qui, en cette période et à plusieurs endroits du monde, font la première communion et la profession de foi ou reçoivent le sacrement de confirmation. Qu’ils soient les témoins dont l’Eglise a besoin auprès d’autres jeunes qui sont, dixit le Pape François dans son exhortation apostolique  post-synodale « Christus vivit » du 25 mars 2019, non pas l’avenir de l’Eglise, mais le présent de l’Eglise (et du monde), « l’aujourd’hui de Dieu ».

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