UN PEU DE PLACE A L’ETRANGER : témoignage et appel
Depuis des mois, des années maintenant, pour la plupart d’entre nous, les migrants sont des nombres : noyés en Méditerranée, arrivés dans notre pays, expulsés ou régularisés. Parfois un visage à la télé, un cadavre sur une plage, vite oubliés.
Pour des centaines de Belges, désormais, ce ne sont plus des migrants mais des invités, des amis, des enfants, des pupilles, des protégés, des chouettes gars (1). Parce que des jeunes citoyens se sont indignés de voir des femmes et des enfants, des malades dormir dehors, ils ont commencé, en août 2017, à vouloir les héberger dans des familles. Puis, les « rafles » policières à l’aube, avec les sacs-à-dos confisqués, les arrestations, ont précipité les choses : il faut héberger tout le monde, on ne peut pas laisser ces gens se faire arrêter, maltraiter, alors qu’ils ont marché des milliers de kilomètres pour échapper à la peur et à la mort.
Depuis lors, Adriana, Clara, Mehdi, Yoon, Ophélie et les autres sont tous les soirs au Parc dès 20h. Entourés de cent à deux cents migrants, accueillant les chauffeurs et les hébergeurs. À minuit, parfois plus tôt, parfois plus tard, le message attendu par beaucoup apparaît sur facebook : « Tout le monde est logé », ou « Le parc est vide », accompagné d’un merci et d’un cœur. Parfois, le message est moins rassurant : « il reste 30 chouettes gars, plus personne n’appelle ni ne vient, on va dormir, on leur laisse des sacs de couchage ».
Ce sont nos grands adolescents qui nous ont poussés à franchir le pas « Pourquoi on n’hébergerait pas des réfugiés ? », « Vous prônez la solidarité et tout, et vous ne feriez rien quand l’occasion se présente ? ». C’est Monsieur Papa qui a été le plus difficile à convaincre : quand même, on ne sait pas à qui on a affaire, on n’a qu’une salle de bains, on travaille, on est fatigués… Comme dit un hébergeur : « la femme est plus maternante, elle ouvre plus facilement sa porte et son cœur, tandis que l’homme garde l’entrée de la caverne » :-). Désolée pour le cliché.
Bref, un dimanche d’octobre, j’étais à Bruxelles avec ma fille de 17 ans en fin de journée et, vers 20h, nous allons au Parc Maximilien pour chercher notre premier invité. En approchant,
nous apercevons des combis de police et nous assistons à une course poursuite entre policiers et réfugiés qui s’enfuient en tout sens. Nous passons à côté d’un homme maintenu face contre terre par le genou d’un policier ; l’homme gémit. Ma fille pleure. Moi j’ai la gorge serrée. Une femme est emmenée, malgré les protestations des témoins. On est là, impuissants, honteux. Lorsque les policiers ont rempli leurs combis, ils se préparent à repartir. Nous rejoignons les bénévoles, au coin du parc ; quelques réfugiés sont là, des hébergeurs aussi, révoltés, scandalisés. Les bénévoles les consolent, les rassurent, leur disent qu’on va continuer. Les policiers ont choisi l’heure où les réfugiés se rassemblent pour être répartis chez les hébergeurs.
Nous emmenons un peu précipitamment S., notre premier invité. Il est très stressé, nous faisons un détour pour contourner de loin la police, rejoindre la gare du Nord et prendre le train. S. n’a pas le profil type des occupants du Parc, qui sont pour la plupart de passage et cherchent à rejoindre leur Eldorado : l’Angleterre. Lui, il est en Belgique depuis des années, vient du Surinam et attend le résultat de son énième recours pour raison humanitaire (il est cardiaque). Sans logement et sans papiers, il va au Samu social quand il ne peut pas se faire héberger dans une famille. Tant d’années à se cacher, à craindre la police, à ne pouvoir faire aucun projet ! Le lendemain, je prendrai le train avec lui vers Bruxelles avant de me rendre au bureau.
Les fois suivantes, nous avons chaque fois accueilli deux personnes à la fois : ainsi, sont entrés dans notre maison des vents d’Ethiopie, d’Erythrée, d’Egypte, du Soudan, du Maroc. Des jeunes hommes, parfois mineurs. Ainsi, S., quinze ans. Il est triste et silencieux , visiblement déprimé. Le lendemain matin, il veut absolument retourner au Parc, alors que c’est dimanche, qu’il pleut et qu’il fait froid. Son comparse, plus âgé que lui, photographe avant que la menace de la mort ne l’arrache à son pays et à son métier, finit par le convaincre de passer la journée au chaud. En fin de journée, S. semble aller mieux ; il vient lui-même demander à manger (ils avaient refusé le dîner et passé la journée dans la chambre, entre sommeil et smartphone), il écoute quand je lui dis qu’en tant que mineur il a des droits particuliers… Je finirai par arriver à le convaincre de s’adresser au service social et d’expliquer sa situation. Quelques jours plus tard, il m’annonce par message qu’il est logé et pourra rejoindre son frère en Angleterre dans deux mois, grâce au regroupement familial.
Il est tout à fait naturel d’avoir des réticences,
des appréhensions par rapport à cette démarche d’accueil : sécurité, différence culturelle, barrière de la langue… Pour ce qui est de la sécurité, rien à craindre : ces personnes n’ont aucun intérêt à faire du grabuge : elles sont surtout reconnaissantes et cherchent à se faire les moins encombrantes possibles. La différence culturelle peut faire peur, mais c’est aussi une formidable occasion de s’enrichir, d’échanger, de découvrir aussi nos points communs : le foot peut réunir tout le monde autour de l’écran, les enfants font fondre la glace en 15 secondes, la musique est mondialisée et fait danser tout le monde.
Nous sommes parfois un peu frileux, dans notre société où tout est bien organisé, où on a chacun son chez-soi. Mais une fois qu’on a ouvert sa porte une fois, quoi de plus naturel ? Quoi de plus normal, a fortiori pour nous, chrétiens, d’accueillir l’étranger, de lui faire un peu de place à notre table, comme nous le chantons parfois… D’ailleurs, attention : ça devient vite une addiction ! 🙂
Une nuit, deux nuits, plus, une journée, un week-end… chacun(e) choisit ce qu’il veut/peut offrir. Sans obligation, sans culpabilité. Ces hommes (jeunes, pour la plupart), ces femmes (moins nombreuses), ces enfants (il y en a aussi) ont traversé le désert, la mer et l’Europe. Ils ne demandent qu’une douche, un endroit où dormir (un lit, un matelas, un divan) et… le code du wifi pour contacter leurs proches. Tous les hébergeurs vous le diront : cette aventure solidaire nous fait grandir en humanité, et ça fait un bien fou. Pour finir, un commentaire humoristique sur facebook : « Tout cet amour, ici, ça devient lassant ! » 🙂 Trouvé sur le site « Perles d’accueil » – « Une fois que tu y es, ça te semble juste normal et c’est ça qui fait le plus de bien : agir normalement face à une situation tragique. »
(1) Je cite tous les termes utilisés par les hébergeurs sur la page facebook.
Disons-le d’emblée : tout se passe sur Facebook. Si vous n’y êtes pas et que vous ne souhaitez pas y être, peut-être pouvez-vous faire appel à un(e) proche qui a un compte ? Rendez-vous sur le groupe HÉBERGEMENT PLATEFORME CITOYENNE et demandez à y adhérer. Une fois que vous êtes accepté(e), lisez, en haut de la page, la foire aux questions qui apportera des réponses à la plupart de vos questions. Chaque jour, en fin de matinée, un sondage est publié sur la page. Le mieux est de le remplir une fois que vous savez comment vos invités vont être véhiculés : par vous-même, si vous allez les chercher au parc à partir de 20h30, ou par quelqu’un à qui vous faites appel ou qui se propose sur la page. Pour les transports, il y a des pages locales qui permettent de s’organiser entre chauffeurs et hébergeurs d’une même région (voir le menu en haut à gauche de la page, dans « fichiers »).Une fois le sondage rempli, vous remplissez aussi le formulaire en ligne accessible par un lien. Si vous n’avez pas rempli le sondage, vous pouvez quand même vous proposer le soir en écrivant un commentaire sur le « post » du sondage. Mais le plus tôt est le mieux, pas besoin d’attendre qu’il soit 23h et qu’Adriana appelle au secours parce qu’il y a encore 30 « chouettes gars » qui attendent :-). Les invités arrivent en fin de soirée en général (sauf si vous allez les chercher vous-mêmes), ils ont reçu à souper, ils ont juste besoin d’un verre d’eau, d’une douche, d’un lit et… du code du WIFI pour contacter leurs proches.Si, en plus, vous pouvez leur proposer l’un ou l’autre vêtement chaud, chaussettes et sous-vêtements, des mouchoirs en papier, une brosse à dents et un dentifrice, un petit sac à dos pour ceux qui n’en ont pas, un en-cas à emporter… c’est le top mais ce n’est pas obligatoire. Des groupes s’organisent aussi pour fournir localement des « kits » aux hébergeurs qui en font la demande.Vous pouvez aussi simplement proposer d’être chauffeur pour déposer des invités chez leurs hébergeurs.
Avant de vous lancer, lisez quelques témoignages d’hébergeurs :
Perles d’accueil.
Pour toute autre information, n’hésitez pas à m’appeler au 0485.148.630 ou à m’écrire à isabelle.franck@ntymail.com.
Essayez, vous ne le regretterez pas !:-)
Isabelle Frank
Trouvé sur le site « Perles d’accueil »
« Une fois que tu y es, ça te semble juste normal et c’est ça qui fait le plus de bien : agir normalement face à une situation tragique. »