Nombres 11, 25-29 : l’Esprit souffle où il veut, quelques fois là où il est inattendu. Il n’est pas limité à un lieu, même pas à la Tente de la rencontre (qui sera le temple). Il n’est pas limité à un groupe d’initiés. Pas question de prétendre à un monopole jaloux. Au contraire, il est à souhaiter que tous les hommes soient « prophètes ».
Jacques 5, 1-6 : diatribe contre la richesse surtout celle qui vient de l’injustice. St Jacques reprend plusieurs expressions de Jésus (p.e. l’image de la rouille ou celle des mites) qui sont en fait un appel à ne pas chercher le bonheur là où il ne se trouve pas et à construire un monde plus fraternel.
Marc 9, 38…48 : Jésus met en garde contre tout sectarisme qui se croit le monopole de la vérité. Il enlève les barrières qui séparent de façon manichéenne ceux qui sont avec (« les bons ») et ceux qui ne sont pas avec (« les mauvais »). Il préfère la grande confiance pour tous. Il est par contre d’une extrême sévérité contre le scandale. Pas de demi-mesure en cas de péché, il faut trancher vif : un scandale est plus grave qu’une mutilation.
Homélie de Vénuste.
Dans un même passage, nous avons, dans la bouche de Jésus, une parole d’une large ouverture et une autre d’une extrême sévérité. Le contexte : Jésus se consacre à la formation de ses disciples. Ceux-ci viennent de leur première mission : la tentation de l’orgueil les assaille, ils se croient les seuls habilités, comme si agir contre le mal au nom du Christ était leur monopole exclusif, leur privilège réservé. Sans concurrence ! L’autre n’est pas une menace, mais une chance. C’est plus que de la tolérance. Jésus demande aux disciples de se considérer eux-mêmes comme à accueillir… avec un verre d’eau !
L’apôtre Jean avait un tempérament de feu ; lui et son frère Jacques, Jésus les avait appelés « fils du tonnerre ». Ce sont les deux qui auraient voulu faire descendre le feu du ciel sur le village des Samaritains qui refusaient de recevoir Jésus et les siens. Jean ne tolère pas que quelqu’un qui ne s’est pas affiché dans leur groupe, réussisse à chasser des esprits mauvais en utilisant le nom de Jésus. Il dit que cette personne n’est pas de ceux qui « nous » suivent, au lieu de dire de ceux qui suivent Jésus ! C’est le réflexe identitaire. Jean ne s’est même pas demandé si le fait de chasser les esprits mauvais en invoquant le nom de Jésus, n’est pas déjà la preuve que cette personne est disciple de Jésus sans faire partie du groupe « de Jean ». Exactement la même réaction que Josué, le futur successeur de Moïse (1ère lecture) : il ne supportait pas que l’Esprit de Dieu repose sur des gens qui n’étaient pas dans le groupe réuni autour de Moïse dans la Tente de la Rencontre. Nous avons souvent à la bouche les mots « Il n’est pas des nôtres » ! Autre est cependant le souhait de Moïse et de Jésus : « Si le Seigneur pouvait… faire de tout son peuple un peuple de prophètes » ; « celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».
On tombe souvent dans le manichéisme et le sectarisme, on met une ligne de démarcation entre ceux qu’on va appeler les bons (les nôtres, les « cathos ») et ceux qu’on va appeler les mauvais, sans zone tampon. On décide qu’on est les seuls que Dieu écoute, les propriétaires exclusifs de la vérité. On a tendance à limiter Dieu à un lieu (de culte), à un groupe d’initiés (« les purs »). On est jaloux de ses privilèges, on croit en avoir le monopole. On veut s’approprier et se réserver l’action de l’Esprit Saint, comme si les dons de Dieu étaient une récompense et un droit (ils sont toujours gratuits dans ce sens qu’ils nous sont donnés sans mérite de notre part). Cette tendance à vouloir accaparer le Seigneur pour chercher à le garder exclusivement pour soi, est une volonté de puissance contraire à son exemple, une porte ouverte au fanatisme et à l’intolérance. Nous oublions que Dieu agit avec une souveraine liberté, qu’il aime tous les hommes d’un même amour et qu’il a répandu son Esprit à profusion sur tout l’univers.
Il fut un temps où on affirmait : « hors de l’Eglise, pas de salut ». Aujourd’hui on se demande comment ce serait possible que Dieu n’ait pas parlé à travers toutes les cultures, toutes les religions. Même si je peux affirmer avec St Paul qu’il n’y a de salut que par le Christ, je peux aussi affirmer que chaque religion a eu son ancien testament, et que le Verbe parle à toutes les consciences. Dieu, qui aime tous les hommes, n’est pas obligé et ne nous oblige pas à passer par Jérusalem ou par Rome. Une telle obligation serait revenir à l’ancienne croyance en une « masse de damnés », une façon de nier que le Christ est mort pour tout le monde. Heureusement que ce ne sont pas les hommes qui vont présider le jugement dernier : nous étiquetons les autres selon des critères de lien du sang, d’appartenance idéologique et d’intolérance confessionnelle. Au cours de l’histoire, dans l’étroitesse de l’intégrisme, les Eglises se sont jeté des anathèmes et se sont même fait des guerres de religion ; aujourd’hui encore l’œcuménisme a du mal à prendre le cap. Qui n’est pas contre nous est avec nous, est pour nous : Jésus nous enseigne l’ouverture à l’étranger, à celui qui est différent, qui ne pense pas comme nous. Attitude de bienveillance et de communion : intégrer plutôt qu’exclure, rassembler et unifier plutôt que diviser et séparer ou créer des différences. Mettre en avant ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise, nous oppose. L’Eglise de Jésus Christ n’est pas un groupe fermé et replié frileusement sur lui-même.
L’Eglise est le peuple des prophètes. Avec la pénurie des prêtres, on repense enfin au sacerdoce commun des fidèles restitué à chaque baptisé. Sur chaque baptisé, le prêtre a fait l’onction d’huile en disant : « désormais, tu fais partie de son peuple, tu es membre du Corps du Christ et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi ». Ce n’est donc pas un privilège exclusif des consacrés ou plutôt tout baptisé est consacré. Bien sûr il y a des ministres « ordonnés » (pour le service) : évêques, prêtres et diacres, mais ils n’ont pas le monopole de l’Esprit. La prière de Moïse s’est donc réalisée dans le baptême chrétien : à chaque baptême, l’Esprit descend et repose sur le baptisé pour qu’il soit prophète.
Qu’est-ce qu’un prophète ? Ce n’est pas le diseur d’avenir, il n’est pas devin. Etymologiquement, le prophète c’est celui qui parle devant : devant Dieu car il transmet la parole de Dieu, devant le peuple car il est envoyé vers le peuple. Il parle au nom de Dieu : il est donc d’abord celui qui écoute (ce qu’il va annoncer, ce n’est pas sa parole, ni le fruit de son intuition), qui entend la parole pour la ruminer, s’en imprégner lui-même et en vivre. C’est ensuite celui qui transmet fidèlement la parole reçue, à travers la parole prêchée et le témoignage. Ecoute et transmission de la parole qui change la vie des gens, qui les convertit, qui les dynamise. Le prophète est celui qui sait discerner, lire les événements, à la lumière de l’évangile, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, pour montrer aux autres le chemin vers Dieu. Il fustige le mal et encourage à se convertir pour faire le bien. Il est le bon conseiller. Nous sommes prophètes les uns pour les autres, nous devons l’être par-delà toutes les barrières humaines, confessionnelles ou autres. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui aurait le monopole de cette fonction ? Ou pour poser la question autrement, est-ce qu’il y a quelqu’un qui en est dispensé ? Comme s’il n’avait pas reçu l’Esprit ! ou pour employer un terme de St Paul : comme s’il avait éteint l’Esprit en lui ! C’est peut-être ce qui se passe : nous laissons l’Esprit s’éteindre dans la mesure où nous n’avons pas (ré-)activé ce don reçu.
En fait il y a bien une exclusion que tout prophète doit faire, et c’est là que le Christ se fait radical avec des mots terribles ! Mais la ligne de démarcation qui sépare les amis du Christ des ennemis du Christ, la frontière entre le bon et le mauvais, ne sépare pas les gens, puisqu’elle est dans le cœur de chacun. Le prophète pose des gestes qui n’entrainent pas la chute des petits. Nos actes ne sont pas neutres : souriez, vous êtes filmés ! Notre attitude conforte les bonnes résolutions chez ceux qui nous regardent ; hélas elle peut perturber, embrouiller, faire douter, choquer, scandaliser ces « petits qui croient » et qui avaient besoin de voir en nous un témoin prophète. Dans ces cas-là, gare à nous, dit Jésus, mieux aurait valu une mutilation des membres de notre corps : mieux vaut entrer manchot, estropié, borgne, dans la vie éternelle, que d’être jeté intact dans la géhenne. Le Christ ne nous commande pas bien sûr (la charia sur les autres) de mutiler notre corps comme s’il était le seul coupable de péché, mais comprenons la radicalité qu’il nous exige. N’est-ce pas qu’on est puni par là où on a péché ! Il est plus intelligent alors de prévenir le châtiment, en faisant la taille soi-même pour ne pas retomber dans son péché : la main qui frappe ou vole, le pied qui glisse en terrain interdit, le regard de concupiscence ou de mépris… Chacun sait toujours ce qui l’entraîne au péché, les occasions qu’il devrait éviter parce que la tentation y est plus forte, le cercle de faux amis qu’il devrait ne plus fréquenter parce qu’il ne sait pas leur résister… autant de tailles que le Seigneur lui demande et l’aide à faire sans tarder. Discerner pour couper, extirper le mal, même si ma main y passe, ou mon pied ou mon œil. La seule exclusion admissible. C’est cela « chasser les esprits mauvais au nom du Seigneur » et ne scandaliser personne. Sommes-nous des canaux de la grâce ou des pierres d’achoppement pour les autres, pour « un seul de ces petits qui croient » ?
Nous démarrons une année pastorale. Il est bon de nous redire que les responsabilités dans la paroisse ne sont pas réservées à certains. Nous sommes un peuple de prophètes et participons tous à la dignité de prêtre. Dans notre mission de catéchistes auprès des jeunes, de visiteurs des malades pour leur proclamer une lecture d’évangile ou leur lire une prière avant de leur donner la communion. Pour parler de Dieu à son hôte en visite et spécialement à son enfant. Participer activement (en prenant la parole) à un partage d’évangile… Chacun a le ministère de la parole : ouvrir la bouche et parler de Dieu. Sans concurrence. Sans esprit de clocher, sans mentalité de clan. Sans ambition de détenir seul la vérité, mais plutôt de montrer que la vérité est à la portée de tout le monde, puisque tout le monde est habité par elle : il suffit de la chercher avec droiture, de se laisser enseigner par l’Esprit. Tel est le souhait du curé, ou plutôt de Moïse et de Jésus : que la paroisse soit une paroisse de prophètes et que tous nous nous mettions à prophétiser… sans modération (à temps et à contretemps, dixit saint Paul).
Commentaire de Père Jean.
En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui te suivent. » Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous, est pour nous. Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
Ce dimanche est dans le prolongement immédiat de celui entendu dimanche dernier et qui dans saint Marc est comme le début d’un discours adressé à toute communauté chrétienne à l’instar du discours sur l’Eglise de saint Matthieu : qu’est-ce être disciple du Christ ? qu’est-ce le mariage comme fondement de toute famille chrétienne ? Quelle est l’attitude chrétienne vis-à-vis de l’enfant ? Attitude chrétienne face à la richesse et l’argent ? Tout cela aboutira à la troisième annonce de la Passion et la Résurrection : celle-ci introduira la route vers Jérusalem avec la question inouïe de Jacques et Jean de pouvoir être l’un à la droite, l’autre à la gauche de Jésus dans le royaume ‘glorieux’ de Jésus, suivie de la guérison de l’aveugle invité à suivre ‘voyant’ Jésus qui entrera à Jérusalem où il mourra et vivra !
L’évangile d’aujourd’hui commence par une remarque de Jean, que Jésus trouvera incongrue : ‘Jean a vu quelqu’un expulser les démons au nom de Jésus et il a voulu s’y opposer’ La raison de sa contestation : ‘il n’est pas de ceux qui te suivent’ ! En fait les disciples, dans l’idée de Jean, sont seuls à être habilités à opérer au nom de Jésus une expulsion de démons, il y va d’un pouvoir qu’il faut veiller à réserver aux seuls disciples de Jésus ! Lui rétorque que le but est premier, l’expulsion du mal : quiconque œuvre pour la réalisation de ce but au nom de Jésus, est ‘disciple de Jésus’, car faire le bien et aussitôt mal parler de Jésus n’est pas possible. Jésus dénonce une attitude de ‘cléricalisme’ qui est de se réserver le pouvoir, à l’instar des autorités religieuses juives du temps de Jésus ; eux jaloux de leur pouvoir, seront les farouches adversaires de Jésus. S’attribuer soi-même le pouvoir de Dieu est un mal, et cela perdure jusqu’à nos jours aussi, comme le dénonce note pape. Ce cléricalisme n’est pas du seul ressort du clergé, les laïcs chrétien pâtissent parfois du même mal Et Jésus de conclure : « Celui qui n’est pas contre nous, est pour nous ». Je remarque que Jésus ne dit : ‘pour moi et contre moi, mais bien ‘pour nous et contre nous’, s’identifiant à ses disciples. Je pense ainsi à cette multitude de gens qui se dévouent aujourd’hui au bien-être de l’autre et des autres , en un esprit évangélique sans ‘appartenir à nos communautés chrétiennes’ : ils ne sont pas contre nous mais pour nous.
Jésus en donne un exemple : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, il ne restera pas sans récompense ». Un verre d’eau est peu de chose, un petit geste tel les bonjour, merci, s’il te plait, pardon qui parsèment nos journées; l’appartenance au Christ, n’est-ce pas avant tout de vivre de la recommandation de Jésus d’aimer tout homme ?
Viennent alors les scandales, les pierres d’achoppement qui font trébucher les petits qui ‘croient en Jésus’ : ces petits pensent : ‘est-ce cela être chrétien ? être prêtre ? Scandalisés par l’attitude des ‘bons’ croyants , ils cessent toute relation avec la communauté chrétienne. Jésus évoque par des parties du corps humain, les causes de scandales : scandale par la main, par le pied, par l’œil. Toutefois avant d’évoquer ces images, Jésus parle du sort des auteurs de scandales pour annoncer que la faute commise aura une conséquence terrifiante. Une de ces meules que tournent les ânes leur sera attachée au cou et eux ensuite seront jetés à la mer. C’est un avertissement sévère de Jésus à l’homme qui bien souvent ne se rend pas compte de la gravité de la faute commise.
La main qui est faite pour accueillir chaleureusement, faite pour secourir, faite pour prendre part à la joie et la peine d’autrui, faite pour se réconcilier et pardonner : par la faute la main devient signe d’oppression, d’avilissement, de domination, de violence.
Le pied qui nous permet de nous porter debout, de nous déplacer à la rencontre de l’autre, de l’empressement ’au pied levé’ quand il se met à courir, de ‘progresser’ en faisant des pas en avant : par la faute le pied devient le pied de guerre, le piédestal pour mettre son ego en avant, le pied de grue immobile
L’œil qui est l’organe créé non seulement pour voir, mais pour regarder, ce qui est voir avec tout son être), l’œil créé pour découvrir la beauté de la nature, la beauté des hommes et de soi, autant de signes discrets de la présence de Dieu, créé aussi pour croire ce qui est entrer dans le regard de Dieu qui aime toute sa création et voir avec sa bienveillance et sa reconnaissance. L’oeil mauvais méprise, écarte,toise, se ferme aux autres.
La consigne donnée par Jésus de les couper est sans nul doute symbolique (signe et signification à mettre ensemble sans les confondre ). Le signe risque d’être évocateur d’une grand régression pénible, la signification qui importe est de veiller instamment au bon usage de ces organes (il y en a d’autres tels que l’oreille faite pour écouter le message d’amour, tel que la bouche pour oser parler, il y a le toucher si essentiel comme le confinement nous l’a fait connaître : bref tout le corps humain est fait pour la relation. C’est cela réussir sa vie (relation à Dieu, aux autres, à la planète qui nous est confiée, à nous-mêmes). « Père, Tu m’as formé un corps et me voici je viens faire ta volonté »