Actes 14, 21-27 : les Apôtres parcourent le monde en annonçant Jésus-Christ, en racontant tout ce que Dieu fait avec eux ; ils exhortent les fidèles à persévérer malgré les épreuves ; ils établissent des responsables (les Anciens, les « presbytres » ; ils ont évité le mot grec qui désignait le clergé des religions païennes) des communautés pour lesquelles ils prient et jeûnent pour que la nomination soit le fait de l’Esprit Saint et non le choix des hommes. Comme Jésus, ils ne s’installent nulle part et ne se laissent monopoliser par aucune communauté.
Apocalypse 21, 1-5 : ciel nouveau, terre nouvelle, nouvelle Jérusalem, nouvel Israël… toutes choses sont nouvelles depuis que l’Agneau a triomphé de la mort. Une nouvelle alliance (fiançailles) a été scellée : Dieu demeure avec les hommes, ils sont son peuple. C’est le sens de la vision de sa demeure qui descend du ciel pour s’établir chez les humains. Notre Dieu est un Dieu de proximité, Seigneur Emmanuel ; nos célébrations sont une ébauche de ce monde nouveau, demeure de Dieu parmi les hommes.
Jean 13, 31…35 : le testament, les dernières volontés de Jésus, c’est que les siens (qu’affectueusement il appelle, pour l’occasion, « mes petits enfants ») témoignent de beaucoup d’amour mutuel. C’est à l’amour qu’ils seront reconnus comme ses disciples. Et ce n’est pas n’importe quel amour : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » Or il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, c’est l’exemple que Jésus a donné avec l’injonction de faire de même.
Homélie de Vénuste.
Le temps pascal qui reste, nous allons lire, les dimanches comme en semaine, le « discours d’adieux ». Le moment est solennel autant que tragique : le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Quelques minutes après, il va être arrêté pour être exécuté. On peut donc vraiment parler de « testament », de « dernières volontés ». On sait combien la parole de celui qui va mourir est chargée de l’essentiel qu’il veut léguer aux siens. Jésus appelle affectueusement ses disciples « mes petits enfants » (c’est l’unique fois)… alors que Judas vient de quitter la table (en famille, on sait ce que cela veut dire « quitter la table ») pour aller le trahir. La tension est à son comble, mais calmement, sereinement, Jésus parle de gloire et d’amour mutuel.
« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui… » Le départ de Judas déclenche « l’heure », la suite des événements qui sont pour les hommes l’anéantissement de Jésus, mais paradoxalement pour Jésus et pour le Père, l’ « Heure » de la gloire. La gloire dont il s’agit ici n’a rien à voir avec le bling bling de nos stars ni de nos autorités qui arrivent « au sommet de la gloire » pour souvent chuter lamentablement. Le terme « gloire » en hébreu signifie d’abord « poids » pour dire ce que vaut une personne en elle-même. La gloire est un des attributs exclusifs de Dieu. Les hommes peuvent être « revêtus » de gloire (cela reste à l’extérieur, c’est trompeur et éphémère) tandis que Dieu a la gloire en lui-même. Ce sont ses œuvres qui reflètent la gloire de Dieu : sa gloire se lit dans la création et dans l’histoire.
Il avait été question de la gloire de Jésus à Cana : « ses disciples virent sa gloire et crurent en lui ». Elle a éclaté lors de la transfiguration qui est une anticipation de la résurrection, une façon de préparer les disciples au choc du vendredi saint. Jésus se couvrira de gloire bien sûr à la résurrection qu’on peut appeler une vérification de la véracité de tout ce qu’il a dit : « Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt. » Voilà pourquoi, avec le départ de Judas qui signe le début de la passion de Jésus (sa souffrance morale de se voir lâché et trahi par un ami proche à qui il venait de faire honneur en lui accordant la première bouchée à table), c’est le début de la glorification de Jésus : cela est souligné par les deux adverbes « maintenant » et « bientôt ». En fait la croix est le trône de gloire, tout comme la passion est l’élévation de Jésus. C’est le cas de parler de « la croix glorieuse ».
Jésus, condamné à mort, parle de sa glorification (un condamné à mort qui parle d’avenir, c’est stupéfiant, surtout d’un avenir de gloire) ; il parle d’amour en absolu. Il meurt par amour : « ayant aimé les siens, il les aima jusqu’au bout… il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les siens… » Quand on aime vraiment, on se sacrifie ; l’amour est passion dans les deux sens. Aimer, d’après Jésus, c’est aimer jusqu’à l’ennemi et prier pour les persécuteurs : « pardonne-leur, Père, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cet amour, Jésus en donne l’exemple et il demande aux siens de le pratiquer. Puisque Dieu est amour, son disciple lui-même doit être amour, il doit aimer comme il est aimé, aimer sans exclusive au quotidien.
Le Christ dit que c’est un commandement qu’il nous donne, comme si on pouvait donner l’ordre d’aimer (certaines éditions préfèrent le mot recommandation ou même mission, mandat). C’est pour nous dire que, pour un chrétien, l’amour doit arriver à être un réflexe spontané, tellement qu’il en devient naturel comme ces habitudes qui finissent par être une seconde nature. Il ne faut pas comprendre commandement dans le sens de contrainte, d’effort pénible à fournir. Mais c’est vrai que l’amour exige beaucoup de volonté : ce n’est pas un simple penchant de sympathie, il faut le vouloir et être décidé à le réussir.
Un commandement nouveau. « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » C’est en cela que réside la « nouveauté » du commandement « nouveau ». Cet amour est nouveau, parce que, l’A.T. demandait d’aimer le prochain comme soi-même, ce qui était déjà énorme ; ici c’est aimer comme chacun est aimé de Dieu, c.-à-d. aimer de l’amour même de Dieu, qui n’a pas épargné son propre Fils ; aimer comme Jésus qui a donné sa vie, livré son corps, versé son sang, donné son Esprit. Dieu fait de nous des hommes nouveaux. Il suffit donc de se laisser transformer pour se découvrir des forces insoupçonnées d’amour. Car l’amour est d’abord une attitude, une manière d’être (chez les humains, c’est principalement des choses à faire, des cadeaux ou des caresses à donner…). Commandement nouveau, non pas qu’il n’existait pas dans l’ancienne loi, mais parce qu’il reçoit une dimension nouvelle : l’amour du Fils est à l’origine de l’amour des disciples qui, en lui, deviennent frères et fils d’un même Père.
C’est à cet amour que le chrétien sera reconnu comme disciple de Jésus. Ce n’est donc pas une simple philanthropie. Plus que nos gestes sporadiques de solidarité, d’œuvres caritatives « de miséricorde » (quelques fois pour se donner bonne conscience). Jésus fait de cet amour un « signe » : « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » C’est la condition de la crédibilité des chrétiens. Le raisonnement est celui-ci. Dans le monde cruel des hommes, il n’est pas facile de s’aimer, c’est difficile entre les nations, entre les voisins et même en famille, même dans les couples… même dans les couvents : les divisions entre Eglises chrétiennes sont un contre-témoignage flagrant ! Alors que Jésus a dit que l’amour sera justement le critère de crédibilité. Par conséquent si on arrive à s’aimer « comme Dieu nous aime », ce sera vraiment parce que cela vient de Dieu. Si nous parvenons à opérer le miracle de l’amour de l’homme à la dimension de l’amour de Dieu, le monde sera obligé d’admettre l’évidence que c’est parce que l’Esprit d’amour agit en nous, habite en nous. La question n’est donc pas : est-ce que nous en sommes capables ? Puisque Dieu est la source. « Comme je vous ai aimés » n’est pas une simple comparaison entre l’amour humain et l’amour divin : c’est l’amour dont Dieu nous inonde les cœurs pour qu’à notre tour, nous le déversions sur les autres. Cet amour est donc sacrement, au même titre que l’Eucharistie, pourrait-on ajouter. On parle de « présence réelle » de Jésus dans l’Eucharistie. Voilà une autre façon de rendre le Christ vivant et présent dans le monde si bien que le monde croira. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14, 23). « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli. » (1Jn 4, 12). Ce n’est pas pour rien que St Jean n’a pas raconté l’institution de l’Eucharistie, et qu’il a raconté plutôt, pour concrétiser le commandement de l’amour, le lavement des pieds qui précède le long discours d’adieux. Le « faites ceci en mémoire de moi » de l’Eucharistie est au même pied d’égalité que le « c’est l’exemple que je vous donne, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous » du lavement des pieds. C’est dire que nous avons, nous qui célébrons le dimanche, à prendre avec le même sérieux le commandement de l’amour. On peut parler encore d’une présence réelle là où l’amour est à l’œuvre : j’étais malade, nu, affamé, prisonnier… et tu m’as visité, aidé… Le primat de l’amour.
Le livre des Actes des Apôtres nous dit que « la multitude des croyants » de la première communauté « n’avaient qu’un cœur et qu’une âme » ; le monde qui les voyait était obligé de constater : « Voyez comme ils s’aiment ! » On ne nous reconnaîtra pas comme ses disciples parce que nous allons à la messe, mais quand nous serons dans la lutte pour la justice et la paix, contre la faim, pour les droits et la dignité de la personne humaine, la fraternité, la solidarité, le partage, la compassion, la réconciliation, le pardon… l’accueil des migrants (pour rejoindre l’actualité). Les disciples d’aujourd’hui, les communautés paroissiales, doivent (c’est un commandement, un mandat) prouver que cet amour est encore possible… en Jésus Christ, par l’Esprit d’amour. Faire triompher l’amour sur les haines et les conflits, cela ne suffit pas (on arrive à le faire dans le « profane »). La qualité de nos connaissances et de nos discours théologiques, cela ne suffit pas non plus ; ni même la somptuosité de nos liturgies, ni la splendeur de nos églises. Ce qui importe le plus, c’est la qualité de l’amour mutuel « comme Dieu aime ». Si le monde ne croit pas, la faute n’est pas au monde que nous avons tendance à juger sévèrement, la faute est à nous, notre déficit d’amour. L’amour – sans mesure – doit être notre marque caractéristique, notre signe distinctif. Est-ce le visage que notre communauté paroissiale donne au monde ? La mondialisation de l’amour, c’est notre mission.