Isaïe 53, 10-11 : Israël attendait un messie guerrier, mais l’envoyé de Dieu sera un « serviteur souffrant », non violent, préférant subir lui-même l’injustice et la violence plutôt que de les imposer aux autres. Cette lecture est lue au temps de la Passion parce que Jésus a réalisé pleinement la vocation de Serviteur Souffrant.
Hébreux 4, 14-16 : Jésus est l’Homme-Dieu, proche de Dieu parce que Fils de Dieu, proche des hommes, frère des hommes, parce que par son incarnation, il a partagé notre condition de chair et de sang jusqu’à souffrir la mort. C’est pourquoi il est le grand prêtre par excellence, l’intermédiaire parfait entre Dieu et l’homme : Jésus n’était pas de famille sacerdotale, mais l’essence même du sacerdoce étant d’être trait d’union entre Dieu et les hommes, il était le mieux qualifié pour nous réconcilier avec Dieu. Cela nous donne pleine assurance.
Marc 10, 35-45 : demande déplacée et présomptueuse des fils de Zébédée. Alors que Jésus monte à Jérusalem pour y souffrir, ils lui demandent des places d’honneur. Jésus leur fait comprendre que le plus grand, c’est celui qui a un grand cœur, celui qui se met au service des autres, qui donne sa vie aux autres, à l’exemple du Fils de l’homme venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour toute l’humanité.
Homélie de Vénuste.
Jésus poursuit la formation de ses disciples : on parlerait de dialogue de sourds, tellement leurs motivations, leurs ambitions, leur mentalité, leurs préoccupations sont aux antipodes de l’idéal, de la mission de Jésus. Jésus a relativisé, ces deux derniers dimanches, les appétits auxquels l’homme s’attache : la sexualité (la loi sur le divorce : il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni) et la richesse (il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu). Aujourd’hui, il nous apprend à relativiser le pouvoir : que celui qui veut être le premier soit le dernier de tous (pouvoir = service). Il vient d’annoncer sa passion pour la troisième fois, mais rien à faire, les disciples tiennent à leur rêve d’un messie triomphateur qui va restaurer le grand règne davidique. Alors eux se voient déjà ministres (siéger = s’installer confortablement sur le trône et avoir l’autorité sur d’autres, « administrer » ; or, étymologiquement et dans l’Eglise, en latin « ministère » est le mot pour service). C’est la course aux honneurs, il faut déjà prendre d’assaut les meilleures places, avant que d’autres ne les prennent. Jésus ne blâme pas celui qui veut la première place, il montre le meilleur chemin : elle revient à celui qui se fait volontiers l’esclave de tous. L’autorité non pas sur les autres, mais au service des autres.
Voilà que s’approchent Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, les fils du tonnerre comme Jésus les avait appelés à cause de leur caractère bouillant ! Ce sont eux qui, un jour, avaient voulu faire descendre le feu du ciel sur un village de Samarie qui avait refusé d’accueillir Jésus. C’est pour dire le genre d’hommes forts et puissants qu’ils croyaient être, du seul fait d’être de l’entourage de Jésus. Ils viennent faire à Jésus une demande aussi présomptueuse qu’incongrue et déplacée : « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ». Autrement dit, les deux meilleures places près de l’homme fort qu’ils rêvent que Jésus va devenir. Et pourtant leur demande vient après la troisième annonce de la passion ; Marc avait noté que « les disciples étaient effrayés et ceux qui suivaient avaient peur ». Malgré cette peur, quelques-uns rêvent d’une « gloire » terrestre de Jésus dont ils se croient en droit de profiter ! Circonstance atténuante : les fils de Zébédée avaient eu, les seuls avec Pierre, le privilège d’assister à la transfiguration (Mc 9, 2-13), ils avaient donc une idée vague et embrouillée de la gloire que pouvait revêtir le Christ.
Il est vraisemblable que les autres disciples pensaient pareil : ils s’indignent de la demande des fils de Zébédée, peut-être parce que ces derniers les ont devancés. Après la deuxième annonce de la passion, les disciples (tous) se sont disputés pour savoir qui était le plus grand ; Jésus avait alors placé au milieu d’eux un petit enfant comme parabole de l’humilité à avoir. A la troisième annonce de la passion, les disciples restent obtus et imperméables. Ils n’ont pas du tout évolué. Ils rêvent toujours de grandeur pendant que leur Maître va à la mort. Jésus reprend les paroles de l’épisode de la deuxième annonce de la passion, il va même plus loin : celui qui veut être le premier se fera le serviteur de tous, et même l’esclave de tous (le grec utilise un même mot pour dire enfant et esclave : l’enfant comme l’esclave sont des êtres insignifiants et sans droits, des « choses », propriété du maître de maison ; l’idée d’esclavage est plus forte que celle de serviteur : le service est un acte libre et volontaire, alors que l’esclave n’a pas de volonté propre). Jésus se donne lui-même en exemple : « car le Fils de l’homme (titre que Jésus préfère quand il parle de lui-même et de sa mission) n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » [dans la Bible, celui qui donne sa vie en rançon, le Goël, le rédempteur, c’est celui qui épouse une cause perdue pour donner espoir à celui qui a tout perdu]. Entretemps, Jésus aura parlé politique, il se place en contraste aux « chefs des nations qui commandent en maîtres », aux « grands qui font sentir leur pouvoir ». Dans le Royaume qu’il vient instaurer, pas question de jouer au potentat, pas question de domination, de supériorité… Comprenons bien, Jésus n’est pas contre le pouvoir et l’autorité qui sont nécessaires dans la société : que le pouvoir et l’autorité soient service, non pas se servir, non pas être servi, mais servir les autres, surtout les plus marginalisés ; un pouvoir pour les autres et non pas sur les autres. Dans le Royaume de Jésus, il n’y a que le service humble et désintéressé.
L’instinct de domination est parmi les plus forts chez l’homme : vouloir dominer, physiquement, intellectuellement, politiquement, financièrement… mettre les autres à son service et pour cela, monter au sommet de la hiérarchie en écartant tout le monde. Selon certains, tous les coups sont permis pour arriver au détriment des autres, en écrasant les autres, sans scrupules. La période électorale et post-électorale en est parfois une illustration. Il ne doit pas en être ainsi, dit Jésus à tous les siens : pas d’arrivisme, pas de goût des grandeurs, pas de soif du pouvoir pour lui-même, pas de manipulation ni d’intrigues ni de coups bas. Et il prêche par l’exemple. Lui qui était de condition divine, écrit saint Paul, il s’est abaissé, prenant la condition de serviteur. Il s’est abaissé jusqu’à se mettre au service de tous les humiliés de la société. La veille de sa mort, il a mis le genou à terre et s’est mis à laver les pieds à ses disciples, ce à quoi on contraignait le dernier des esclaves dans la maison. Il s’est abaissé jusqu’à prendre la place des criminels sur la croix (tiens donc ! qui a tenu la place convoitée par les fils de Zébédée, au moment où Jésus buvait sa coupe jusqu’à la lie, qui étaient à sa droite et à sa gauche ? deux larrons). Sa mort signifie : non pas souffrir mais servir ; mourir pour nous est en fait vivre pour nous, servir jusqu’au don de sa vie.
Encore une fois, nous sommes invités à imiter Jésus. En fait Jésus ne décourage pas ceux qui veulent les premières places, il purifie plutôt leur désir : être en première ligne oui ! mais pour et par le service. Autrement il restera seul pour le service. Il nous appelle au don (la coupe à boire) et au service (le premier, c’est l’esclave de tous). Il ne prêche pas la médiocrité, ni l’abaissement pour être le dernier des derniers, puisqu’il a été exalté : celui qui choisit le service est élevé aux yeux de Dieu. Ne faisons donc pas comme les fils de Zébédée qui s’approchèrent de Jésus pour se servir de lui dans leurs ambitions, n’allons pas à Jésus pour la réalisation de nos projets terrestres. Il nous faut purifier nos prières qui souvent demandent à Dieu d’intervenir pour qu’il accomplisse nos volontés ou nous donne le coup de pouce qui nous manque pour réaliser nos folies de grandeurs. Je crois que souvent, il nous dit (comme aux fils de Zébédée) : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ». Quels sont donc la qualité et le contenu de notre prière ? Nous arrive-t-il de prier pour les autres (prière universelle) pour qu’ils grandissent eux aussi ? Nous arrive-t-il de rendre grâce pour la promotion de quelqu’un de méritant, quoique peut-être notre concurrent ? Quand ou combien de fois demandons-nous l’humilité dans le service ?
Jésus demande de changer notre manière de nous positionner dans le monde où sévissent rapport de forces, lutte d’influences, dans le sens où il faut être le premier, le seul à passer. A l’esprit de compétition, Jésus oppose l’esprit de service : le plus grand n’est pas celui qui monte seul sur le podium ou sur le trône ou au perchoir. Le plus grand est celui qui aide les autres à arriver avec lui, pour qu’il n’y ait pas de dernier, quitte à le porter sur ses épaules. Dans une famille harmonieuse, il n’y a pas un seul (une seule) qui rend service de sorte que les autres seraient des enfants-rois ou un conjoint despote. Le capitaine d’une équipe de sport, le capitaine du navire… tout (bon) chef ira là où le boulot est le plus difficile ; au bureau, il arrive le premier et part le dernier ; à la guerre, il est dans les tranchées avec les sans-grades. Et il y a de la joie – la vraie joie – à retrousser les manches, à se mettre au service des autres, jusqu’à souffrir pour eux, plutôt que les laisser tomber. L’Eglise n’est pas une pyramide avec la pointe au sommet afin de monter l’échelle sociale, de gravir les échelons. Il ne s’agit plus d’éliminer les autres, d’écraser les « adversaires » comme dans nos compétitions sportives ou à la Star Academy et autres « éliminatoires ». Il ne s’agit plus de se bousculer pour que le meilleur gagne en jouant des coudes.
Le Christ nous demande de consacrer toute notre vie au service de Dieu et du prochain. [Le service, un autre mot galvaudé aujourd’hui avec nos stations-service (d’essence), services à domicile, services incendie, services sociaux, services communaux, service clientèle et nos magasins qui offrent les meilleurs services… toujours payants les uns et les autres]. Commençons déjà par rendre service à Dieu (car il doit être le premier servi) pendant la liturgie : service des lectures, du chant, de l’autel… Et parmi l’éventail de services paroissiaux (non payants), il y en a pas mal qui ont grand besoin de bénévoles. Dans la vie sociale aussi, dans le quartier, ce ne sont pas les occasions qui manquent pour rendre service. C’est le chemin du bonheur : être heureux de rendre heureux (« le bonheur que l’on a vient du bonheur que l’on donne »). En cette semaine mondiale de la mission, prions pour les missionnaires d’ici et d’ailleurs. Et mettons-nous, nous-mêmes au service de la seconde évangélisation ici chez nous.
Commentaire de Père Jean.
En ce temps-là, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ». Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations, les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
En ce temps-là : pas n’importe quel temps. Jésus vient d’annoncer pour la troisième fois et dernière fois ce qui l’attend : « Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes : ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, ils se moqueront de lui , ils cracheront sur lui, ils le flagelleront, ils le tueront et trois jours après il ressuscitera. ». Cette annonce est comme inspirée par le prophète Isaïe, qui semble si proche de Jésus avec sa prophétie que nous lisons longuement le vendredi saint (Is 52 -53 : ‘Mon serviteur réussira…il était si défiguré’. Immédiatement après Jacques et Jean s’approchent de Jésus et comme s’ils n’avaient pas écouté cette déclaration solennelle de Jésus, lui adressent une demande en l’appelant : « Maître, nous voulons afin que, quoique nous allons te demander, tu le fasses pour nous » Il me semble que le français ‘nous voudrions’ atténue la demande en en faisant une éventualité alors qu’en grec il s’agit bien d’une exigence nette. Comment osent-ils, après l’annonce remplie d’ émotion de Jésus ? La réponse de Jésus se fait tout intéressée à leur requête ! « Que ‘voulez-vous que je fasse pour vous ? ». La réponse jaillit à l’impératif : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » Une requête disant bien ce qui les intéresse : la gloire de ‘pouvoir’ d’encadrer Jésus dans sa gloire ! Ici, comme lors des deux premières annonces de sa Passion sévit une incompréhension totale de la part des apôtres face à l’annonce de Jésus : ils sont sur deux longueurs d’onde totalement opposées. De plus quand on sait que Jésus en croix est crucifié entre deux bandits, l’un à la droite et l’autre à la gauche ! Oui, nous chrétiens savons que la croix de Jésus est ‘glorieuse’, la gloire étant ce à quoi Dieu tient le plus, c’est-à-dire son amour passionné des hommes…jusque dans la mort de son Fils. Marc a visiblement compris le paradoxe entre la demande des apôtres et la réalité de Jésus. Celui-ci leur répond d’un ton qui traduit une lassitude face à l’incompréhension : « Vous ne savez pas ce que vous demandez » Et voilà que Jésus leur demande : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés (immergés)du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Leur réponse est une affirmation nette : « Nous le pouvons ! » Et Jésus comme prévoyant l’avenir leur ‘concède’ qu’ils le pourront ! La coupe dans le contexte biblique est la coupe débordante de témoignages jusque dans le martyre. Quant aux honneurs demandés, Jésus n’a pas le pouvoir d’en accorder. « Il y a ceux pour qui cela est préparé » sous-entendu préparé par Dieu.
Cette demande des frères Jacques et Jean irrite les autres apôtres .Jésus les appelle pour leur donner un enseignement primordial qui fera la différence entre les aspirations des hommes et le regard que Dieu porte. « Ceux que l’on regarde comme chefs des nations, les commandent en maîtres, et les grands leur font sentir leur pouvoir » C’est à cela que le monde aspire, ceux qui agissent ainsi sont admirés et suscitent la convoitise des autres : voilà le mode du pouvoir chez les hommes ! « Mais parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ». La règle pour ceux qui veulent entrer dans la perspective de Dieu est ainsi : « Celui qui veut devenir grand parmi vous, sera votre serviteur ; celui qui veut être le premier, sera l’esclave de tous » Le vocabulaire de Dieu est décidément fort différent de celui du monde : premier/dernier ; maître/esclave ; s’élever / s’abaisser. La règle fondamentale pour le chrétien, Jésus nous l’a dit récemment: 1.Le désir de s’engager à suivre Jésus 2. Renoncer à soi-même 3. Accueillir l’épreuve de la croix (faire une croix sur beaucoup d’’aspirations’) 4. Se mettre en route avec Jésus, lui qui va mourir et ressuciter.
Jésus termine son enseignement en se référant à son propre vécu : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Voilà l’Esprit de Dieu dont Jésus est appelé à en vivre et ainsi révéler Dieu. Le Dieu serviteur (en flamand Godsdienst : Dieu serviteur des hommes !), tel que Jésus l’évoque dans une parabole : Dieu, le Maître accueillant ses ‘serviteurs’ en les conviant à la table où lui-même passera en ‘serviteur des convives’. Le Fils de l’homme est appelé à vivre cette parabole par son être dans le monde comme serviteur des hommes pour témoigner de l’incommensurable amour de Dieu pour les hommes, particulièrement en donnant sa vie, (ce que tout homme considère comme le trésor le plus précieux à sauvegarder) en rançon pour la multitude. Sa vie une rançon ? A payer à qui, se demande-t-on : une rançon au ‘Mal’ qui sévit dans le monde afin de le vaincre totalement par un surcroît de vie.
***Quelques questions : ** L’attitude de Jacques et Jean nous choque : cela m’arrive-t-il de dire à Jésus que je veux qu’il me fasse selon ma demande ? *Et ai-je été attentif à la réponse accueillante de Jésus qui me pose la question : ‘que veux-tu que je fasse pour toi ?’* A mon tour peut-être de lui demandé de pouvoir ‘siéger’ avec lui dans sa gloire *la gloire de la croix : la croix glorieuse, notre unique espérance comme nous le chantions ? **La réponse de Jésus aux apôtres (dont je suis !) : ‘les grands de ce monde commandent, qu’il n’en soit pas ainsi parmi vous’. Nous sommes appelés à servir et être le dernier de tous
Marc 10, 35 -45 29° t.o – b