Sagesse 2, 12…20 : le juste, l’homme honnête, n’est pas aimé par ceux qui voient en lui un reproche vivant. On cherchera à l’humilier, à l’éliminer et par la même occasion à défier Dieu qu’on sait bien de son côté.
Jacques 3, 16 – 4, 3 : la sagesse de Dieu (la vraie) s’oppose à la « sagesse » du monde. Celle-ci est instinct, convoitise et n’engendre que la violence. La sagesse de Dieu donne paix et justice.
Marc 9, 30-37 : pour la seconde fois, Jésus annonce sa passion. Or ses disciples croient encore qu’il sera puissant et qu’il va leur donner des places juteuses. Ils se disputent : à qui la meilleure place ! Jésus les rappelle à l’ordre : le premier, c’est celui qui sert avec un cœur d’enfant.
Homélie de Vénuste.
Le dimanche dernier, nous lisions la première annonce de la passion de Jésus. Les disciples en avaient été choqués, parce que cette perspective était aux antipodes de l’image et du destin glorieux que le peuple d’Israël se faisait du « Messie » tant attendu. Nous avons aujourd’hui une deuxième annonce. Les disciples ne comprennent toujours pas ce « il faut ». Jésus traverse la Galilée avec eux, cette Galilée où il a connu un certain succès ; ce voyage (qui n’est pas une marche triomphale), il le fait incognito parce qu’il se concentre sur la formation de ses disciples. Décidément ceux-ci se montrent particulièrement obtus. Ils ne veulent rien entendre de ce destin tragique auquel Jésus va faire face à Jérusalem. Marc ne veut rien édulcorer de l’attitude (qui est la nôtre aussi, parce qu’ils nous ressemblent tant) des disciples qui préfèrent ne pas comprendre. Plutôt continuer à rêver éveillés ! Comme nous qui, peut-être encore rêvons de triomphalisme et d’une Eglise qui impose sa loi au monde… Et si le Christ venait en cette minute, nous demander de quoi nous discutons, ne serions-nous pas dans l’embarras ?
Leur rêve ! Ils forment l’entourage de quelqu’un qui a des pouvoirs inouïs, qui guérit toutes les maladies et toutes les infirmités, qui ressuscite même les morts, qui a autorité même sur les forces de la nature comme les tempêtes tant redoutées de la mer de Galilée. Le rêve c’est que se réalise en cette personne de Jésus, l’espérance d’Israël, à savoir une super-puissance comme (ou plutôt mieux qu’) à l’époque du grand David dont il est le descendant. Les apôtres ont toujours cru que Jésus allait rétablir le royaume de David. Même à l’Ascension, ils lui demandent : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » Et puisqu’il y aura royaume, il y aura des places juteuses ; il faut donc se positionner déjà. Qui mérite la place de premier ministre ? On connaît l’intrigue des fils de Zébédée qui font passer leur requête par leur maman. Les autres caressaient les mêmes ambitions. Ils se disputent encore « entre eux pour savoir qui était le plus grand » ! Pendant que Jésus va vers la mort, eux pensent aller vers les honneurs et les promotions. La tentation du pouvoir qui a assailli Jésus lui-même, séduit ses disciples d’hier et d’aujourd’hui. Jésus avait eu la force de repousser cette terrible tentation : p.e. après la multiplication des pains quand on a voulu le faire roi, il s’est retiré en montagne tout seul. Les disciples eux, ne prennent pas encore conscience de la dangerosité de cette tentation.
Jésus ne leur fait pas de reproche. Il leur pose la question de forme : de quoi discutiez-vous en chemin ? Eux se taisent parce qu’ils savent en conscience que ce n’était pas beau du tout de se chamailler pour des places hypothétiques dans un royaume dont ils ne comprennent encore rien, alors que le Maître leur parlait de sa mort imminente. Alors Jésus appelle les Douze, ceux qui doivent prendre sa relève et garder l’esprit qui présidera à son Eglise (servante). On peut imaginer qu’il interpelle chacun. Toi Pierre, toi Jean, toi Matthieu, toi Barthélemy, toi Judas… tu veux être le premier ? Bravo ! Eh bien, je vais vous donner le tuyau ! Vous cherchez le moyen, le voici. L’attention devait être à son comble à ce moment. C’est alors que Jésus place un enfant au milieu du groupe (toute une parabole), il l’embrasse pour montrer qu’il embrasse sa condition et il déclare qu’il s’identifie à l’enfant (c’est plus que le donner en exemple). Bien plus, il identifie l’enfant à Celui qui l’a envoyé, c-à-d son Père des cieux : le Tout-Puissant s’identifie au Très-Bas. Gros étonnement qu’on ne peut comprendre et mesurer que si on se rappelle que l’enfant ne représentait rien dans la société de l’époque de Jésus. L’enfant –infans – c-à-d qui ne sait pas parler, qui n’a pas le droit à la parole, qui compte pour rien, bref un rien du tout (autre chose que l’enfant-roi de nos familles actuelles), icône de la fragilité et de la dépendance. D’ailleurs dans les langues de l’époque (et c’est resté dans les langues qui gardent le neutre dans leur grammaire), le mot pour traduire l’enfant est un mot au neutre (p.e. das Kind en allemand) : pour dire que c’est une « chose » encore insignifiante et méprisable. Eh bien, c’est à ce « rien du tout » que Jésus s’identifie. Il s’identifie à tous les petits, tous les laissés-pour-compte, tous les sans-droits, tous ceux que notre société met à l’écart et piétine. Qui accueille ce « petit », à la condition que ce soit « au nom de Jésus » (pas par simple philanthropie ou attendrissement), c’est Jésus lui-même qu’il accueille, c’est le Père qu’il accueille.
Or dans notre société, c’est comme dans le groupe des disciples. Dans toutes les cultures, on est éduqué à la compétition pour se démarquer du lot, être le plus fort, le plus performant, le meilleur. Notre société s’organise pour ne laisser émerger que ceux qui réussissent aux cotations, aux concours. C’est la course implacable aux honneurs, à l’excellence. Toujours ce besoin de « réussir ». Ce n’est pas seulement dans le domaine sportif où le plus fort « domine » la course et « écrase » les records, quitte à se doper. Partout dans tous les domaines de la vie, on fait tout pour être le chef avec ce que cela comporte de volonté de puissance, de domination. Avec tout le cortège de rivalités et de jalousies que cela engendre, comme nous le décrit l’épître de St Jacques qui démontre que c’est de ces instincts et de ces convoitises que viennent le désordre, les conflits et les guerres. C’est la jungle. On ridiculise celui qui perd, qui fait une chute, au lieu de lui tendre la main pour le relever. Face à cette logique de puissance et de compétition, Jésus, encore une fois, renverse l’échelle des valeurs pour placer l’esprit de service en premier. Comprenons bien qu’il ne vient pas faire l’apologie de l’échec, ni encourager le complexe d’infériorité, ni plaider pour l’humiliation, ni justifier la médiocrité. Il ne vient pas non plus se mettre du côté de ceux qui contestent l’autorité, toute autorité parce que autorité. Pour Jésus, même l’autorité est service. S’il y a un terrain où il faut rivaliser, où il faut exceller, c’est dans le service, service de la communauté humaine, service des plus petits. Le meilleur n’est pas celui qui s’impose, qui en impose, qui écrase les autres, qui met tout le monde à genoux ; pas celui qui est le meilleur au détriment des autres. Le premier, c’est celui qui prend la place du plus petit, le serviteur des serviteurs. Celui qui n’a pas l’ambition de s’élever sur les autres mais élever les autres. Service humble, humble service.
La première leçon de ce texte par conséquent est le service. Celui qui a la meilleure place, celui qui a le plus de responsabilités, le plus haut placé dans la hiérarchie, c’est par l’esprit de service qu’il doit briller. L’évangile invite à renoncer à la loi de la jungle pour s’effacer et servir l’autre. Jésus met en garde contre (ce qui nous envenime la vie) l’orgueil qui entraîne à écraser les autres, contre la prétention qui risque de faire oublier la primauté du service et de l’amour. Il vient nous donner la vraie sagesse qui consiste à être heureux en rendant les autres heureux. « Le bonheur que l’on a vient du bonheur que l’on donne », dit l’adage. Ce n’est plus le bonheur de dominer, de passer au-dessus des autres, de se servir des autres. C’est la joie du service, du dévouement, du don de soi, gratuitement et sans calcul (on peut hélas faire le calcul de passer par le service pour s’imposer). Le bonheur de se rendre utile aux autres. Comme Jésus qui a été envoyé pour servir jusqu’à nous laver les pieds, jusqu’à donner sa vie.
L’autre leçon me semble la compassion. C’est scandaleux de discuter de privilèges, de promotions, de finances prospères, quand à côté de nous, règne la misère. Un chrétien ne peut pas « spéculer » quand on crève à côté de lui et qu’il s’arrange pour ne pas savoir. Cette indifférence est coupable. Nous avons à travailler pour un monde de justice et de paix. Aimons-nous les uns les autres, avec l’amour préférentiel pour les plus déshérités de la terre, mais qui n’exclut personne. Notre Pape François veut une Eglise pauvre pour les pauvres (le pape est traditionnellement appelé « le serviteur des serviteurs de Dieu »).
L’Eglise, à l’image de la célébration liturgique, a quelque chose d’unique. Partout ailleurs, il y a des premières classes et des classes économiques, des barrières ethniques ou salariales, des ségrégations codifiées. Dans l’Eglise –servante-, pas de trace de ces frontières (ce ne doit pas être de la théorie). Celui qui est « quelqu’un » met ses ressources (humaines, intellectuelles, morales, financières), et sa propre personne au service de son prochain. Allons vivre dans le monde ce que la liturgie permet : une société sans classes, sans privilèges, où tous sommes égaux et solidaires, les grands au service du bien commun et du bonheur de tous, surtout des plus petits. A l’exemple de l’Eglise primitive : selon les Actes des Apôtres, les premiers chrétiens mettaient tout en commun de sorte que nul n’était dans le besoin.
C’est pourquoi, à l’heure de relancer les activités paroissiales, je fais appel aux bénévoles pour tous les secteurs de la vie de la paroisse. Servir, se rendre utile à Dieu à travers le service à ses frères et à ses sœurs. Ce serait étonnant qu’il y ait une personne à n’avoir aucun secteur où il pourrait rendre service. Comme s’il n’avait pas reçu le Saint Esprit et un charisme spécifique ! Et pourtant bien de secteurs manquent de bénévoles, de volontaires. Ecoutez le Seigneur qui vous appelle et soyez nombreux à rejoindre les équipes qui se dévouent déjà et que je remercie de leur constante disponibilité. Et puisque Jésus donne l’enfant en parabole, faisons aux enfants une place dans nos assemblées : encourageons nos enfants et petits-enfants à la fidélité aux liturgies dominicales.
Commentaire de Père Jean.
En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort ,il ressuscitera.» Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé ».
Les synoptiques Marc, Matthieu et Luc, connaissent tous trois dans leur évangile la relation de ‘ l’annonce de la Passion et Résurrection’ à trois reprises : celà dit bien l’insistance de Jésus, relayée par les évangélistes pour leurs communautés, sur ce sujet.(La première vient immédiatement après la question : « Pour vous qui suis-je ? ») Trois annonces par Jésus, et de la part des disciples chaque fois une incompréhension totale face à ce que Jésus leur annonce. Le texte de l’évangile de ce jour est celui de la deuxième annonce. Derrière cette insistance on peut découvrir combien le ‘geste’ de la mort et de la résurrection de Jésus au cœur de notre foi chrétienne, a posé question, tant du temps des apôtres que maintenant encore. Des chrétiens sont ébranlés en leur foi et la perdent du fait que le Père n’a pas empêché son Fils de mourir comme un réprouvé sur une croix ; la question comment accorder cette attitude du Père avec la bonté infinie qui lui est attribuée? A première vue, l’échec de la mission de Jésus est pour d’aucuns un motif de ne plus croire en Dieu. Pour d’autres au contraire, ‘l’échec apparent devient source de la victoire finale de l’amour ‘démesuré’ de Dieu pour les hommes , victoire sur les forces du mal, qui sont les véritables auteurs de la mort de Jésus. Pas étonnant que pour les croyants l’eucharistie demeure le signe par excellence de l’amour infini de Dieu , la mort de Jésus devient le passage vers la Vie, aussi bien du Ressuscité que pour les ressuscités dans la foi, que nous sommes.. Question : Vivons-nous l’eucharistie ainsi ?
Pour illustrer ce dernier regard, je pense à mon ancien aumônier scout, résistant pendant la guerre, fusillé par l’ennemi: il avait refusé le bandeau devant les yeux et avait crié ‘Vive la Belgique’ au moment de la salve : ainsi était-il patent que l’amour pour son pays l’a conduit à lui donner sa vie. (abbé de Neckere)
Pas étonnant que les disciples ne parviendront à entrer dans cette perspective que progressivement, qu’après la Résurrection, (voir les récits des apparitions de Jésus Vivant racontant leurs hésitations). Ils ont peur et se taisent. Par lâcheté ? Par incompréhension ?
Oui, ‘incompréhension’ et ‘lâcheté’ se manifestent dans l’échange entre eux. En chemin, ils discutent pour savoir qui était le plus grand, là est leur souci ! Jésus leur demande : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Le chemin est celui qui les mènera avec Jésus jusqu’à Jérusalem où ce que Jésus avait annoncé, arrivera : sa montée en croix au Calvaire et sa montée vers le Père, trois jours plus tard en ressuscitant.
Jésus va s’asseoir comme il sied à un maître pour enseigner ses disciples. Ici il est dit que Jésus appela les Douze, ceux qui seront les fondateurs de la communauté chrétienne. ‘Qui est le plus grand ? Voilà votre recherche de bonheur ! Etre le premier, être le maître, être le tout grand ! Alors que Jésus a annoncé qu’il va choisir d’être le pauvre en croix pour révéler l’amour du Père pour tous les hommes en filigrane dans cette souffrance. Jésus y trouvera tout son bonheur joyeux d’être en parfaite harmonie avec le dessein du Père : en suivant son chemin, il vivra une communion étroite avec son Père, soucieux d’être à l’écoute du battement du cœur du Père. Ainsi il introduira les Douze dans les définitions du dictionnaire de Dieu : être le plus grand, est être le plus petit, le premier être le dernier, s’élever est s’abaisser, être riche est être pauvre. C’est la signification du geste de Jésus lors du lavement des pieds en saint Jean : Jésus y énonce qu’être maître est s’abaisser dans un geste de servilité, qu’être ses disciples est d’être le frère de tous, et Jésus conclura : ‘Si vous pensez cela, vous serez heureux, du moins si vous le mettez en pratique’.
Ici Jésus dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous » Jésus y souligne : si quelqu’un veut… C’est donc un geste volontaire, un engagement qui se fait dans la joie de découvrir ce que c’est d’être en harmonie avec le Maître. Jésus, le premier a éprouver cette joie d’être le serviteur de tous. Il ne veut exclure personne, ni les riches ni les pauvres, ni les justes ni les pécheurs.
Jésus ajoute un geste à la parole, un geste très parlant. Il prend un enfant, le met au milieu d’eux et il embrasse l’enfant. Le geste est d’autant plus significatif du fait que dans le judaïsme de l’époque de Jésus l’enfant n’était pas le roi comme de nos jours. Avant la profession de foi, le bar mitsva qui se situait aux environs de ses douze ans, l’enfant était censé de ne rien connaître des prescriptions de la Loi et était donc de façon permanente en contravention des articles de la Loi. Il ne comptait pas comme individu. C’est un tel enfant que Jésus prend en le mettant au milieu de ses disciples, à part égale en quelque sorte et de plus l’embrasse témoignant d’une grande tendresse pour l’enfant ‘toujours en état de perdition aux yeux de la Loi. Au geste Jésus ajoute une parole sur l’accueil d’un enfant. Un comme celui-ci, précise-t-il. Mais l’accueil doit se faire au nom de Jésus, en référence avec lui dont le nom est Jésus : Dieu sauve ! C’est donc le nom du Père qui nous enjoint un tel geste d’affection. Jésus l’exprime bien disant : « Comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. L’accueil par ses disciples se traduit dans les gestes de tous les jours, comme signifiant que l’on accueille Jésus. Et il ajoute encore : celui qui m’accueille, cela équivaut à l’accueil que nous réservons à Dieu. En filigrane : Dieu veut être si proche des hommes qu’il veut s’identifier aux gens et tous les ‘enfants’, qui, au regard des hommes ne représentent rien. Tel est l’amour passionné que Dieu éprouve pour les hommes , sans exclusion aucune.
25°t.o.-b Marc9, 30 – 37