MOLENBEEK ET LA RADICALISATION MUSULMANE
Le 9 février dernier, j’ai été invitée à un colloque sur la radicalisation musulmane au coeur de Molenbeek. Je vous propose ci-dessous les notes que j’ai prises et qui, je pense, pourraient intéresser tous ceux qui, comme moi, cherchent à rencontrer les acteurs de terrain afin de tenter de comprendre le problème et de réfléchir à des solutions sans tomber dans le piège de la xénophobie ambiante.
Notes prises lors de la présentation du Professeur Johan Lehman (KUL) le 9 février 2016 à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale à Molenbeek.
Facteurs reconnus contribuant à la délinquance juvénile :
- Composition multi-éthnique
- Densité de la population
- Nombre de familles monoparentales
- Statut économique faible
Situation à Molenbeek :
- Explosion démographique
- Composition multi-éthnique
- 1/3 de familles monoparentales
- Densité de population : 20 000 au Km2
- 50% des familles vivent dans 55m2
- 50% de moins de 29 ans
- Seuls 25% de jeunes travaillent
- 40% de familles sans travail
- Prix des loyers en hausse : 500€ en moyenne pour logement insalubre alors que population à faibles revenus
Il va de soi que tout ceci entraine une grande frustration chez des jeunes adolescents/jeunes adultes. Or l’adolescence est déjà en général une période rebelle de la vie. Le terrain est donc mûr pour la radicalisation de ces jeunes. Ajouter à cela que ces jeunes musulmans ont l’impression de ne pas compter pour la société vu la discrimination à l’emploi. Leur présence au sein de notre société ne parait à leurs yeux n’avoir aucun sens. Ils se sentent rejetés. Entourés par une société matérialiste qui n’offre plus d’espace spirituel. Leurs oreilles sont prêtes pour le discours salafiste, et leur radicalisation.
En effet les recruteurs djihadistes leur promettent :
- l’héroïsme qui remplace leur impression de mort sociale
- une réussite pour le petit délinquant qui ne s’en sort pas
- une issue pour les filles de familles qui galèrent et qui recherchent une situation stable. Quoi de plus stable en effet que de vivre sous la double protection d’un mari “caïd” et d’une loi divine.
- une issue pour ceux en rupture avec leur mère : ils ont ainsi la possibilité de mourir en héros pour sauver leur mère et lui assurer une place au paradis. (discours extrêmiste)
La recette qui marche : on allie le message messianique à la contestation.
Facteur additionnel : la “Y generation” (jeunes branchés à leurs écouteurs, internet, jeux ordi etc…). Pour des jeunes dont le monde réel ne leur offre rien, le monde virtuel peut prendre le statut de monde réel. La socialisation se fait souvent en premier lieu par des moyens virtuels. On y trouve malheureusement une culture de violence ainsi que des théories de complots dans les jeux et films qui se substituent à la réalité pour devenir leur réalité.
Contexte problématique : relations loin d’être idéales, voire carrément défaillantes entre :
- La sûreté et la police
- Les services de sécurité européens
- Le Parquet et les extrémismes
- Les acteurs politiques et Molenbeek : on se débarrasse souvent des problèmes bruxellois en rejetant la faute sur Molenbeek = stigmatisation.
Il est malgré tout indéniable que :
- des liens internationaux de criminalité passent par Molenbeek dans l’axe Molenbeek – Roubaix – Paris
- qu’il existe une ligne de la drogue passant par Molenbeek dans l’axe NL – Belgique (Molenbeek) – France (Marseille)
A savoir :
Pour leur recrutement les Djihadistes ont divisé l’Europe en zones linguistiques. Molenbeek fait partie de la France avec des facilités de terrain et de caches plus aisées qu’en France. Les français viennent recruter à Molenbeek. Pendant des décennies, la Belgique a choisi d’ignorer le problème de Molenbeek qui date cependant du début des années 2000 avec l’assassinat du Commandant Massoud par entre autres Abd Al Satter Dahmane qui était passé par la France, l’Angleterre, les Pays-Bas ET Molenbeek.
Des solutions ?
- Exploiter les ressources et le potentiel du quartier, ce que la commune ne parvient pas encore à faire. Que ce soit les policiers ou les enseignants, tous arrivent de l’extérieur, sans connaissance du terrain de l’intérieur.
- Essayer de convaincre les molenbeekois qui réussissent de rester dans le quartier et de participer à changer son image, à redonner confiance aux jeunes qui en sont issus.
- Réussir à convaincre les ministres qu’il faut faire confiance aux acteurs locaux et trouver des solutions locales.
- Adapter l’enseignement à Molenbeek. La majorité des parents d’élèvent ne savent pas suivre leurs enfants. On doit donc mettre en place un enseignement adapté aux réalités du quartier. Cela impliquerait de donner une “wild card” aux écoles et associations locales, qui, elles, connaissent le terrain, leur faire confiance et non imposer un modèle standard. Ce qui fonctionne à Uccle n’est pas forcément adapté à Molenbeek !
Ajoutons également quelques informations glanées durant la journée : le fait que la Bourgmestre, par exemple, n’habite pas le quartier. Risque donc que la population ne se sente absolument pas représentée ni comprise et ait l’impression qu’on lui parachute des édiles sans qu’elle ait son mot à dire. La Bourgmestre a bien évidemment été élue, mais par qui ? une minorité, vu que seuls les immigrés européens ont le droit de vote.
Autre remarque : en me rendant de la gare centrale au coeur de Molenbeek à pied, j’ai ressenti une grande chaleur humaine entre les habitants, au milieu de tous les petits commerces. On se salue, on discute. Bcp de jeunes mamans. D’ailleurs, le centre où se déroulait notre journée servait également de garderie pour les vacances de carnaval, et lorsque je suis entrée, l’endroit bruissait d’activités et d’enfants. En déambulant dans les couloirs, tous les enfants que je croisais me saluaient d’un « bonjour Madame » et tous arboraient un grand sourire, chose qui arrive rarement à l’école de Waterloo où je suis bénévole, sauf si les enfants me connaissent…
Une des intervenantes, institutrice dans le quartier, nous a également expliqué que les enfants arrivent déjà en primaire avec le sentiment d’un avenir très incertain, l’impression que tout est joué d’avance. Dès lors pourquoi se fatiguer ? Leur entourage est souvent au chômage, et ils sont quasi certains que lorsqu’ils se présenteront sur le marché du travail, il y aura discrimination sur leur tête/couleur de peau et/ou leur nom (sur ce volet là, la balle est dans notre camp). Il y a par conséquent tout un travail à faire sur la confiance en soi et c’est pour cette raison que les enseignants aimeraient pouvoir mettre en place des méthodes spécifiques au quartier.
P.V.