Solennité de la Sainte Trinité ce 7 juin
L’évangile en cette fête, me semble-t-il, commence par une affirmation vitale pour notre foi chrétienne : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais qu’il obtienne la
vie éternelle ». On y lit l’origine de toute notre histoire : Dieu a tant
aimé monde: l’origine est Dieu en son amour.
Je me serais attendu à ce que soit le Père, puisqu’immédiatement suit qu’il a donné son Fils. Et pourtant Jean a retenu « Dieu ». Ainsi je crois que notre foi a son origine en Dieu, lui qui révèle son amour dans l’échange relationnel entre les trois personnes Père Fils et Esprit Saint. L’essence de l’amour est le bonheur de faire vivre l’autre, l’échange de cet amour est constitutif de notre participation à la vie divine. Or Dieu a aimé le monde, en Saint Jean le monde dans son échec à être ce pour quoi il est créé. C’est cet échange entre Dieu et le monde qu’on appelle partage de la vie divine. L’homme créé à l’image de Dieu a ainsi reçu gratuitement la capacité d’aimer avec l’amour dont le prototype est l’amour qu’il a manifesté en son être trinitaire : l’homme est invité à vivre en cet échange trinitaire.
C’est le ‘Dieu trinitaire’ qui donne son Fils unique. Le don du Fils au monde a trait au mystère de l’Incarnation œuvre de Dieu, que Jean a formulé en son prologue : le Verbe s’est fait chair. Le Dieu trinitaire donne ‘le Fils devenant homme’. ‘Dieu’ qui reste proche du Fils de l’homme et des hommes pour lesquels le Fils est envoyé. Au fur et à mesure que Jésus au cours de sa vie publique progresse dans la Bonne Nouvelle, l’annonce de la vie éternelle, apparaîtra sa relation unique avec son Père qui l’a envoyé ‘ (mon Père et moi nous sommes un) de même sa relation avec ‘autre Paraclet’ – (l’Esprit Saint) qu’à sa demande le Père enverra sur les apôtres.
Tout cela a un but : afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais qu’il obtienne la vie éternelle. Celle-ci est le partage avec les hommes de l’élan d’amour au cœur même de Dieu, l’unique en trois. La finalité est bien que nous les hommes soyons partie prenante de cet élan. Afin qu’il n’y ait aucune équivoque Jésus ajoute en l’évangile de ce jour : car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais que par lui, le monde soit sauvé. L’intention de Dieu Père Fils et Esprit pour l’envoi du Fils est de sauver le monde : le salut est que nous soyons vraiment qui nous sommes, des enfants de Dieu. Et cela se fait par lui le Fils, tout en étant affaire de Dieu.
Fort de ces paroles qui à y bien réfléchir nous touchent le cœur, nous les hommes éprouvons le besoin d’imagespour évoquer cette réalité de la Trinité. En Occident bien souvent la peinture représentant la Trinité rejoint un même canevas. On y voit une nuée sur laquelle sont établis deux trônes, l’un pour le Père représenté comme un être humain âgé avec une longue barbe, la tête couronnée d’une espèce de tiare (âge et barbes des images du sage)regardant devant lui d’un regard sans expression; le Fils assis à la droite du Père nettement plus jeune ayant en main le globe terrestre ou une croix dressée, regardant aussi devant lui sans beaucoup d’expression ; tandis que l’Esprit Saint peint comme une colombe en vol ‘statique’ au-dessus des deux trônes. C’est sans doute très beau, mais cela ne me touche pas le cœur. Je préfère nettement la représentation qu’un moine russe vers les années 1400 a faite de cette même Trinité. J’avoue qu’en prière je regarde longuement cette icône ; elle ne me paraît pas extérieur à moi, tout au contraire elle m’invite à m’insérer dans la vie de Dieu. C’est cette icône que je voudrais vous décrire.
L’icône de la Trinité de André Roublov (XIV-XV siècle canonisé par l’Eglise orthodoxe en 1988) est conçue à partir
d’une histoire racontée dans la Genèse, 18. Abraham, avec Sarah sa femme tous deux âgés sans enfants campe près du chêne de Mambré. Il est midi en pleine chaleur. Le Seigneur lui apparut, et il voit trois hommes debout devant lui Avec son sens sacré de l’hospitalité, Abraham les convie pour un encas et quelque repos. Pourtant il en fait un festin.
Le Seigneur lui dévoile son projet de vie avec le couple : ’Dans un an je repasserai et Sarah t’aura donné un fils’.
Vœu d’Abraham et Sarah exaucé par l’annonce de la vie ! Les trois partent, Abraham en hôte attentif leur fait un pas de conduite. Là le Seigneur lui dévoile son intention de détruire Sodome, la ville de perdition. Deux messagers iront vérifier si vraiment Sodome est une ville aux mœurs dépravés. Alors que Abraham demeuré seul avec le Seigneur implore la miséricorde pour Sodome. ‘Peut-être qu’il s’y trouve au moins 50 justes, pas possible d’anéantir ces 50 justes.’ ‘En ce cas j’y renoncerais’ ‘Mais s’il n’y en a que 45…40…30…20…10..’ J’y renoncerai’.
Mais malheureusement pour Sodome il y en eu moins de 10 et donc elle sera détruite et sa destruction sera à l’origine de le Mer Morte.
Ce récit, avec les trois passants et le Seigneur, laisse suggérer ‘un Dieu unique en trois personnes’. Roublev a, parait-il, longuement prié avant de peindre son icône pour en faire l’image de la Trinité. Je la regarde. Trois personnages sont attablés à une table en carré : qui serait le quatrième convive ? Abraham ? Chacun de nous ? Moi ? Si oui je ne suis pas spectateur qui regarde cette icône comme de l’extérieur, mais je suis participant, je prends part à cette convivialité. Je puis me faufiler entre les deux repose-pieds, bien sûr je suis à même le sol alors que les trois personnages sont un tant soit peu plus élevés, mais le seuil qui me sépare de l’estrade des visiteurs est de quelques centimètres : ils veulent être proches de moi. Et ainsi l’icône devient comme un médaillon en forme ovale, le dessus du médaillon est formé de l’arc des trois têtes et le dessous par l’arc formé par les deux repose-pieds que ma présence relie !
Et donc je fais partie du tableau à l’intérieur du médaillon, à l’intérieur de la convivialité divine. Je regarde les trois personnages : face à moi il y a le Père qui préside, à sa gauche pour moi il y a l’Esprit Saint et à la droite pour moi il y a le Fils. Le médaillon les(nous) relie dans une unité. Tous trois très jeune, du même âge, ils ont chacun un avenir devant eux ; quoique tous trois assis ils ont des ailes, signe qu’ils ont un message à transmettre comme les anges ; ils ont tous trois un bâton à la main, c’est qu’ils sont appelés à cheminer très proche des hommes ; ils ont tous trois la tête nimbéed’une auréole lumineuse comme signe de ce qu’ils sont lumière pour éclairer les hommes. Ils montrent par ailleurs des signes de différences. Du Fils et de l’Esprit je vois les pieds posés sur le repose-pieds, mais les pieds prêts à partir puisque le Père présidant la table les chargera d’être les envoyés du Père. Leurs vêtements sont différents. Le Père à un vêtement de corps couleur sang, le sang qui donne la vie, lui est par essence l’origine de l’amour, mais un amour qu’il ne garde pas pour lui : son survêtement est comme un manteau bleu azur brillant comme le ciel, dont il a partagé les pans pour en faire le vêtement de corps du Fils et de l’Esprit, qui eux comme survêtement ont un drap vert comme l’espérance pour le fils, et pour l’Esprit un vêtement léger à reflets moirés exprimant la multiplicité des dons de l’Esprit.
Mais la chose la plus étonnante qui fait l’unité entre les trois, c’est le regard de chacun. Je repense à ce que c’est regarder : regarder, c’est remettre tout son être en action. Le Père a un regard d’amour infini sachant que l’amour est cette capacité de faire vivre quelqu’un. Le Père regarde l’Esprit, car toute l’essence du Père se fait voir en l’Esprit. L’Esprit, lui, sait bien que le Père le regarde en lui donnant la mission de transmettre son regard au fils, car l’Esprit fait l’unité entre le Père et le Fils. L’Esprit regarde le Fils en qui il voit celui qu’il va concevoir quand les temps de l’Incarnation seront accomplis ; par ailleurs l’insistance de l’Esprit se révèle dans le bâton coloré de rouge que des deux mains (parce que le bâton est lourd) il présente vers le Fils, lui qui
devra signifier par le don de son sang l’immensité de l’amour du Père. Le Fils lui aussi sait bien le regard du Père transmis par l’Esprit mais lui-même regarde vers le bas, sur la table la coupe avec l’offrande, se souvenant que le sacrifice qu’il accomplira est signe de ce qu’il vivra en parfaite communion d’être avec le Père. Mais il regarde aussi que cette coupe est tout proche de la place réservée aux hommes. Et moi je vois avant tout la coupe avec le corps de Jésus et je sais qu’il la regarde aussi, cette coupe qui sera le signe de l’amour du Père qui me vient par l’Esprit, lui qui me donne de voir dans la vie de Jésus tout le dessein d’amour de Dieu Père Fils et Esprit Saint. C’est de cela que je dois témoigner, être le martyr et je regarde un moment la face de la table où s’insèrent les reliques de saints martyrs qui ont vécu de la vie trinitaire.
Père Jean