À quoi peut ressembler la vie après la mort ? À l’approche de la Toussaint et du jour des morts, Jean-Pierre Longeat, abbé émérite de l’abbaye bénédictine Saint-Martin de Ligugé, dans la Vienne, nous livre sa réflexion sur l’au-delà.
Confrontées à la mort d’un proche, de nombreuses personnes, y compris des chrétiens, s’interrogent sur ce qu’il y a après. Qu’entend-on par la résurrection des morts ?
Jean-Pierre Longeat : On pourrait dire que la résurrection des morts est un terme technique. Cette idée que quelque chose de l’ordre du vivant se poursuit au-delà de la mort, a émergé dans le judaïsme quelques siècles avant l’ère chrétienne. À cette époque, puis au temps de Jésus, on assiste à des querelles entre les différents courants juifs sur cette question. Les disciples du Christ ont développé la foi en la résurrection à la suite d’une expérience particulière : la rencontre du Christ après sa mort dans une manifestation à la fois très spirituelle et présente. Les auteurs bibliques du Nouveau Testament éprouvent eux-mêmes des difficultés à décrire cette réalité. Dans leurs récits, le Christ est à la fois présent et autre puisque les disciples ne le reconnaissent pas immédiatement. Il prend l’aspect du pèlerin qui marche sur la route, de celui qui traverse les murs, du jardinier… Marie-Madeleine, quand elle perçoit cette présence, veut revenir à l’état antérieur comme pour garder la maîtrise de cette réalité. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Ne me touche pas » ou « Ne me retiens pas ». Il signifie par là qu’en voulant rester dans les limites de notre existence terrestre, nous risquons de manquer le rendez-vous.
On parle pourtant de la résurrection de la chair…
J.-P. L. : Dans l’anthropologie juive, la chair comme le corps désignent la personne. Parler de résurrection de la chair ne veut pas du tout dire résurrection de la réalité biologique ou de l’enveloppe charnelle. Dans le Nouveau Testament, nous trouvons la plus belle description de la résurrection dans la première épître de saint Paul aux Corinthiens (chapitre 15). Pour lui, la réalité de notre vie actuelle est comme celle de la graine déposée en terre tandis que la réalité de la résurrection est le déploiement de cette graine en une plante et un fruit. Notre existence actuelle, précise saint Paul, se vit sous la forme d’une apparence physique et psychique avec ses manifestations immédiates liées à la biologie, à la psychologie… Le corps qui se déploie au-delà comme une plante qui va donner du fruit serait comme un corps spirituel. La résurrection n’est donc pas du tout un retour à l’état antérieur. C’est un déploiement dans un corps — dans lequel éventuellement on peut identifier la personne — mais qui n’a pas les limites d’une manifestation terrestre dans l’espace et le temps. Ces corps spirituels, ressuscités, sont voués à être dans une relation d’unité et à former le Corps du Christ. Nous essayons déjà de vivre de cette unité dans le sacrement de l’Église.
Attachement, détachement, entrée dans une nouvelle manière d’être en relation, est-ce le « passage obligé » pour vivre la communion ?
J.-P. L. : Absolument. L’expérience de la mort de proches est souvent une expérience très douloureuse. Il y a la perte d’une réalité à laquelle je tenais. Pour être le plus en communion possible avec ceux qui nous ont quittés, je dois moi-même être disponible pour accueillir cette nouvelle réalité de leur condition. Je dois donc me disposer de manière à vivre mon existence présente avec le dynamisme de la résurrection. Par exemple, si mon projet de vie est d’accumuler de plus en plus de biens en matière de richesse, de consommation, de plaisirs ou de joies passagères, je serai moins en mesure d’être en relation avec la réalité de ceux qui nous ont précédés. Parce qu’ils ne sont plus du tout dans cette perspective. Ils sont légers. Ils n’ont plus l’illusion que le bonheur va être donné par ce que l’on possède sur la terre. Aujourd’hui avec la crise sanitaire, la perspective de la mort paralyse tout le monde, mais des mouvements alternatifs cherchent d’autres manières de vivre. Je pense au mouvement « Moins de biens, plus de liens ». Je trouve que c’est une assez bonne philosophie pour aborder la vie présente en accueillant une autre dimension de cette vie au-delà de l’immédiateté. Je crois que cela prépare à la vie de l’au-delà, une vie pleine et entière, et que cela donne de la goûter dès maintenant.
Comment ?
J.-P. L. : Je crois que chacun de nous goûte cette vie pleine et entière par bribes. Je suis musicien. Partager avec d’autres des expériences musicales fortes, c’est comme entrer dans un autre type d’existence. On ressent une clarté, une harmonie telles que l’on a l’impression que cela va durer toujours. L’exemple le plus fort de cette manifestation, ce sont deux personnes qui s’aiment. Elles ont l’impression d’entrer dans un au-delà de l’espace temps. Ne pas en rester à des bribes d’expérience mais pouvoir vivre cela dès maintenant de manière presque ordinaire, c’est ce que saint Benoît appelle « désirer la vie éternelle de toute l’ardeur de son âme ». Hélas, le christianisme en a fait quelque chose de très pessimiste concernant la vie présente avec l’espérance que tout irait mieux dans l’au-delà.
Que voulez-vous dire ?
J.-P. L. : Par des influences philosophiques, en particulier grecques, le christianisme a fait de la condition présente dans un corps et dans les limitations du temps et de l’espace, une espèce de condition pénitente. La libération serait la résurrection. On devrait passer sa vie à être triste de son péché, de ses erreurs, et de l’impossibilité à être ressuscité dès maintenant. L’autre tentation serait d’être naïf et de dire que nous sommes tous des ressuscités. En réalité, il est difficile de se détacher de l’appartenance à soi-même et de dilater son existence au-delà de cette appartenance immédiate. Mais il est possible de tenir cet équilibre entre la vie présente et la vie plénière. La figure de Jésus nous le montre dans les Évangiles.
Comment allez-vous vivre la commémoration des défunts, le 2 novembre, à l’abbaye Saint-Martin de Ligugé ?
J.-P. L. : Le jour de prière pour les morts se situe au lendemain de la magnifique fête de la Toussaint qui est la fête de la communion de tous dans une réalité tant espérée, dans un amour parfait. Le 2 novembre, l’Église insiste sur la solidarité avec les morts. En dehors de la liturgie, nous irons en communauté dans notre cimetière vivre un temps de prière en union avec nos défunts. Ensuite, pour ne pas rester dans une vision trop resserrée, nous irons nous promener dans la nature en restant en communion avec eux sous l’angle de la beauté et de la vie.
Nous n’avons pas de prise directe avec nos défunts. Leur vie échappe à nos perspectives actuelles. Mais je crois que ce qu’ils vivent leur donne un regard différent sur leur existence terrestre et sur la nôtre. Ils ont le panorama général et ne sont pas prisonniers d’une vision trop limitée. Beaucoup de pardons, compliqués dans notre vie, vont tout à fait de soi dans la vie plénière. C’est pourquoi nous pouvons nourrir une certaine confiance quant à nos relations avec ceux qui sont passés dans la claire vision. En ce temps de la Toussaint, j’invite les personnes endeuillées à revenir au centre d’elles-mêmes dans un très profond silence pour garder la Présence au cœur. Chacun peut prendre des moments de recueillement chez lui ou en allant visiter le mémorial des tombes, de manière à rejoindre la Présence essentielle et à se trouver en communion avec ses défunts. La présence reste, même si la dimension physique, immédiate, n’est plus là. La vie continue. Je crois même que la mort est une explosion de vie.
Pour aller plus loin : Sur les traces de l’au-delà, par Jean-Pierre Longeat et Monique Hébrard, Salvator 2020, 192 p.
Propos recueillis par Florence Chatel